Paul avait écrit d’Éphèse sa première lettre aux Corinthiens (Voir l’introduction). Impatient d’apprendre quelle impression elle aurait produite, il envoya à Corinthe son disciple Tite (2 Corinthiens 12.18), qui devait examiner de près l’état de l’Église, et en même temps y recueillir les dons de la charité destinés aux frères pauvres de la Judée (8.6, 18-24). On est étonné de cet envoi de Tite à Corinthe, parce que, d’après la première épître 4.17 et 16.10, c’était par Timothée que Paul devait recevoir des nouvelles concernant l’effet produit sur l’Église par cette lettre. Timothée était auprès de l’apôtre quand il écrivait sa seconde épître (1.1), et pourtant il n’y est pas parlé d’une visite de lui à Corinthe. Aurait-il été empêché d’y aller ? Ou bien s’y serait-il rendu trop tôt pour pouvoir connaître les résultats de la première lettre ? Toutes les conjectures qu’on a faites sur ce point ne l’éclaircissent pas). Bientôt après le départ de Tite, Paul dut quitter Éphèse, peut-être ensuite de l’émeute de Démétrius (Actes chapitre 19) ; il vint à Troas, puis en Macédoine pour y attendre le retour de Tite, n’ayant point de relâche en son esprit (2 Corinthiens 2.12-13). Enfin, il rencontra Tite en Macédoine et fut puissamment consolé et rassuré par les nouvelles que lui apporta ce dernier (7.5-7). Sa lettre avait fait une profonde impression de tristesse et de repentance, dont Tite lui-même, très bien reçu par l’Église, s’était réjoui (7.8-16) ; le pécheur scandaleux avait été exclu et ramené à la repentance (2.5-11), au point que Paul lui-même demandera sa réintégration dans la communion du troupeau.
Toutefois, si une grande partie de l’Église avait été humiliée, les adversaires de Paul ne l’étaient point, mais continuaient à s’opposer à son influence, en rabaissant son ministère. Ils l’accusaient de versatilité dans ses résolutions et de contradiction avec lui-même (1.17-19). Ils le représentaient comme plein de hardiesse dans ses lettres et de faiblesse lorsqu’il était présent (10.10) ; même sa prédication manquait de droiture, de vérité et de clarté (4.2-3), et il mettait de la ruse dans son désintéressement affecté (12.16-17). Ainsi parlaient les spirituels et les docteurs judaïsants, qui ne pouvaient tolérer la pureté de la doctrine annoncée par l’apôtre. Désireux de s’adresser encore à ses amis et à ses adversaires avant de se rendre personnellement à Corinthe, Paul, toujours en Macédoine où il affermissait les jeunes Églises, écrivit notre seconde épître aux Corinthiens, et l’envoya par Tite et deux autres frères qu’il mentionne sans les nommer (8.16-24). Cette lettre fut écrite moins d’un an après la première, en 57. Bientôt après il revint réellement à Corinthe, où il resta l’espace de trois mois (Actes 20.2-3).
Notre manière d’envisager la suite des événements est partagée par B. Weiss (Einleitung in das N-T, 1886) qui la défend avec force. Son avantage est de ne faire entrer en ligne de compte que des faits connus et de ne recourir à aucune hypothèse. L’objection qu’on lui fait, c’est de ne pouvoir justifier des expressions comme 2 Corinthiens 2.3-4 ; 7.12 ; 3.1 ; 5.12 ; qui ne sauraient, dit-on, s’appliquer a notre première épître. Se basant sur ces expressions, Bleek et un grand nombre de savants après lui, ont supposé l’existence d’une lettre aujourd’hui perdue que l’apôtre aurait écrite en apprenant par Timothée les débats que soulevait sa précédente épître et l’esprit de révolte qui se manifestait a Corinthe. Cette lettre, fort vive, aurait été portée par Tite, et Paul attendait avec une fiévreuse impatience le retour de son messager (2 Corinthiens 2.12-13 ; 7.5 et suivants). Nous ne pensons pas que les passages allégués suffisent pour établir l’existence d’une lettre intermédiaire, car s’il y a dans la seconde épître des allusions qui ne semblent pouvoir s’appliquer a la première épître, il y a aussi entre les deux lettres d’étroits rapports (Comparez surtout 1 Corinthiens 5.1 et suivants avec 2 Corinthiens 2.5 et suivants ; 1 Corinthiens 16.5 avec 2 Corinthiens 1.15). M. Godet a repris une idée d’Ewald, d’après laquelle il faudrait intercaler entre nos deux épîtres, non seulement une lettre perdue, mais la seconde visite de Paul à Corinthe. Il pense que l’intervalle entre la première et la seconde aux Corinthiens doit avoir été beaucoup plus considérable et plus rempli qu’on ne l’admet généralement… C’est-à-dire qu’il a été d’un an et demi au lieu d’être de six mois. Cette supposition se heurte au passage : 2 Corinthiens 1.15 et suivants où Paul se justifie du changement de son itinéraire, qui le fait aller à Corinthe par la Macédoine et non plus directement comme il l’avait pensé d’abord. Or ce changement, il l’avait annoncé 1 Corinthiens 16.5. Peut-on supposer un intervalle de plus d’un an entre l’énoncé du projet et sa justification ?
L’apôtre commence par saluer ses frères et rendre grâces à Dieu des consolations et des délivrances qu’il lui avait accordées après tant de chagrins et de dangers (2 Corinthiens 1.1-11), puis il explique pourquoi il n’est pas venu encore à Corinthe malgré l’intention qu’il en avait manifestée (1.12 à 2.4).
Il conseille ensuite à l’Église de pardonner au pécheur scandaleux et de l’admettre de nouveau dans la communion de ses frères (2.5-11). Abordant alors les accusations de ses adversaires, il démontre la pureté de l’Évangile qu’il a prêché, prouve combien est glorieux le ministère de la nouvelle alliance, par opposition à celui de l’ancienne, et quelle fidélité il a mise, au milieu des plus rudes souffrances, dans l’exercice de ce ministère de la réconciliation (2.12 jusqu’à 6.13).
Après cette effusion de cœur, pleine d’abandon et renfermant de profonds enseignements, Paul adresse à ses frères une sérieuse exhortation à vivre d’une manière digne de ce glorieux Évangile qu’il leur a prêché ; il s’émeut de la tristesse qu’il leur a occasionnée par sa première lettre, mais se réjouit des fruits de repentance et de salut dont cette tristesse a été suivie (6.14 jusqu’à 7.16).
Il rappelle ensuite longuement le devoir de contribuer au soulagement des chrétiens pauvres de la Judée, en faveur desquels Tite devait recueillir à Corinthe les dons de la charité (Chapitres 8 et 9).
Enfin, prenant une dernière fois à partie les faux docteurs qui corrompaient l’œuvre de Dieu à Corinthe, l’apôtre, dans un langage plus sévère, repousse leurs accusations mensongères (10.1-18), expose, dans une émouvante apologie, son désintéressement, les longues souffrances, les terribles tentations qu’il a endurées dans sa vie extérieure et dans son âme, semblable en cela à un vieux soldat qui montrerait ses blessures pour toute réponse à ceux qui l’accuseraient de lâcheté ; toutefois, ajoute-t-il, il ne veut se glorifier que dans ses infirmités, il est prêt à se dépenser pour ses frères (Chapitres 11 et 12). Paul termine sa lettre en laissant entrevoir l’emploi d’une sévérité tout apostolique, mais il désire venir à Corinthe avec douceur et affection ; c’est pourquoi il exhorte ses frères à un sérieux examen d’eux-mêmes, à la paix, à la charité, et le vœu de son cœur pour eux est que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec eux tous (Chapitre 13).
Ainsi cette épître se divise naturellement en trois parties :
Rien n’est plus instructif ni plus important pour la vie chrétienne, pour la direction des âmes et pour le gouvernement des Églises, que ces rapports de l’apôtre avec un troupeau nombreux, travaillé par l’erreur et par l’esprit de parti, dans des circonstances si difficiles. Paul développe ici des dons plus variés, plus de prudence, de sagesse, de renoncement, de charité, que dans la simple exposition de l’Évangile. Dans aucun de ses écrits, il ne met plus complètement à nu son cœur passionné pour la vérité et pour le salut des âmes. Aussi sa parole, toujours ardente, coule-t-elle (Erasme en a déjà fait l’observation) tantôt comme un ruisseau limpide, tantôt comme un torrent troublé par les débris qu’il entraîne, tantôt enfin comme un fleuve qui s’élargit en lacs profonds. Ces caractères ne laissent pas de rendre parfois très difficile l’interprétation de cette ardente effusion, écrite dans des conditions toutes spéciales.
Il est superflu de parler de l’authenticité de notre épître ; elle en porte en elle-même des preuves tellement évidentes, que jamais la critique la plus négative ne s’y est attaquée, si l’on excepte quelques hypothèses qui se jugent elles-mêmes.
Quelques interprètes frappés de la différence de ton entre la dernière partie (chapitres 10 à 13), et la première (chapitres 1 à 7) ont supposé que nous avions deux épîtres écrites dans des circonstances différentes et réunies plus tard en une seule. Mais les manuscrits sont unanimes à nous présenter l’épître dans son unité et les raisons invoquées en faveur de cette hypothèse ne sont pas suffisantes.