L’apôtre Pierre s’appelait primitivement Simon ou Syméon (Actes 15.14 ; 2 Pierre 1.1). Il était fils de Jona ou Jean (Jean 21.15, première note), et avait un frère nommé André. Les deux frères exerçaient le métier de pêcheurs. Originaires de Bethsaïda (Jean 1.45), ils possédaient une maison à Capernaüm (Marc 1.29). Jésus les rencontra dans la société de Jean Baptiste. Dès la première entrevue, il distingua Simon et lui donna le nom de Pierre. Il l’invitait par là à se proposer un idéal moral qui était le contraire de son caractère impulsif et ardent, mais mobile et faible (Jean 1.35-43, notes). Quand Jésus commença son ministère public, il appela Simon Pierre à le suivre en abandonnant son métier ; il lui promit de le faire pêcheur d’hommes vivants (Luc 5.1-11). Pierre occupa une place éminente dans le cercle des apôtres. Il figure en tête sur les listes des douze (Matthieu 10.2 ; Marc 3.16 ; Luc 6.14 ; Actes 1.13). Homme d’initiative, il est toujours le premier à prendre la parole, à interroger le Maître, à provoquer ses explications, et c’est à lui que Jésus adresse les questions destinées à tous (Matthieu 15.15 ; Matthieu 17.25 ; Matthieu 18.21 ; Matthieu 19.27 ; Luc 8.45 ; Luc 12.41 ; Luc 22.31). À Césarée de Philippe, Pierre confessa Jésus comme le Messie, le Fils du Dieu vivant, et Jésus désigna son disciple comme la pierre sur laquelle son Église serait bâtie, caractérisant par cette image la part qu’il devait prendre à l’établissement du christianisme chez les Juifs, les Samaritains et les païens (Matthieu 16.16, notes). Pierre fut l’un des trois disciples admis dans l’intimité du Maître. En cette qualité, il fut témoin de la transfiguration (Matthieu 17.1-9), et de miracles accomplis dans des circonstances spéciales (Marc 5.37) ; Jésus lui demanda de l’assister dans son agonie en Gethsémané, mais il répondit mal à son attente (Marc 14.33 ; Marc 14.37). Auparavant déjà, il avait résisté au Maître qui voulait lui laver les pieds (Jean 13.6-10), et était demeuré sourd à ses avertissements, leur opposant la solennelle promesse d’être fidèle jusqu’à la mort (Jean 13.36-38). Après avoir fait, au moment de l’arrestation de Jésus, une tentative de le défendre par la force (Marc 14.47-49 ; Jean 18.10 ; Jean 18.11), il fut seul, avec Jean, à le suivre dans la cour du souverain sacrificateur (Marc 14.54 ; Jean 18.15) ; mais là il le renia par trois fois (Marc 14.66-72 ; Jean 18.17-27). Au matin de la résurrection, Pierre et Jean, avertis par Marie-Madeleine, constatèrent que le sépulcre était vide (Jean 20.1-10). Le même jour, Pierre fut honoré d’une apparition du ressuscité (Luc 24.34). Enfin, dans l’entrevue qu’il eut avec quelques-uns de ses disciples au bord du lac, Jésus s’adressa particulièrement à Simon, fils de Jona ; il lui rappela son triple reniement en lui demandant par trois fois s’il l’aimait ; puis il le rétablit dans sa charge de pasteur des brebis et lui prédit qu’il finirait sa carrière par le martyre (Jean 21).
Dans l’Église naissante, Pierre eut d’emblée le premier rôle. L’élection d’un apôtre, pour remplacer Judas, est faite sur son initiative (Actes 1.15-26). Le jour de la Pentecôte, il parle à la foule au nom des douze (Actes 2.14 et suivants). Après avoir guéri l’impotent, il parle encore au peuple, puis au sanhédrin (Actes chapitres 3 et 4). Il est l’instrument de Dieu pour exercer au sein de l’Église une redoutable discipline (Actes 5.1-11). Délégué, avec Jean, auprès des Samaritains évangélisés par Philippe, il leur procure le don du Saint-Esprit en leur imposant les mains (Actes 8.14 et suivants). Pendant une visite aux Églises de la Judée (Actes 9.31 et suivants), il est appelé à Césarée auprès du centenier Corneille, et introduit, en sa personne, le premier païen dans l’Église (Actes 10.1 à 11.18). Paul se rend à Jérusalem, pour la première fois après sa conversion, afin de faire la connaissance de Céphas, et il demeure quinze jours auprès de lui (Galates 1.18). Quand Hérode se met à persécuter l’Église, il s’attaque à Jacques, fils de Zébédée, qui est mis à mort, et à Pierre, qui est emprisonné. Délivré miraculeusement, Pierre s’en alla dans un autre lieu (Actes 12.1-17). Nous le retrouvons à Jérusalem, lors de la conférence racontée Actes chapitre 15 ; il prend part à la discussion, mais l’influence prépondérante et décisive paraît avoir été exercée par Jacques, le frère du Seigneur (Actes 15 et suiv. ; comparez Galates 2.9). À sa dernière visite à Jérusalem (en 59), Paul se rend chez Jacques, où s’assemblent tous les anciens (Actes 21.18). Pierre n’est pas mentionné ; ce qui fait penser qu’il n’était pas à Jérusalem. Il est probable qu’il exerçait alors son activité hors de Judée, d’un tempérament impétueux et porté aux initiatives hardies, il ne dut pas se confiner longtemps dans un champ de travail aussi restreint que l’Église de Jérusalem. Il fit, lui aussi, des voyages missionnaires. Nous ne pouvons dire dans quelles contrées ces voyages le portèrent, mais deux ou trois passages des épîtres de Paul offrent des indices de cette activité de Pierre hors de Palestine. Dans Galates 2.11 et suivants, Paul raconte comment Pierre, lors d’une visite qu’il fit à Antioche, fraternisa d’abord dans les agapes avec les chrétiens d’origine païenne, puis, intimidé par l’arrivée de personnes venues de la part de Jacques, se retira à l’écart, et comment il dut le reprendre vivement au sujet de cette conduite inconséquente qui exerça aussitôt une fâcheuse influence sur les autres chrétiens juifs et même sur Barnabas. L’attitude de Pierre, dans cette circonstance, ne peut être expliquée que comme une défaillance, étrange chez un homme qui avait été éclairé par une révélation spéciale lorsqu’il admit Corneille dans l’Église, bien conforme toutefois à son caractère naturel : hardi et généreux, mais inconstant et dominé par la crainte des hommes. Cette rencontre avec Paul dut se produire pendant le séjour que l’apôtre des gentils fit à Antioche entre son second et son troisième voyage missionnaire (Actes 18.22 ; Actes 18.23). La présence de Pierre dans cette ville peut être considérée comme l’indice d’un travail d’évangélisation qu’il accomplissait en Syrie, parmi les Juifs, très nombreux dans cette contrée. Il est probable que son activité s’étendît plus loin, jusqu’en Asie Mineure. Le partage convenu avec Paul, en vertu duquel ce dernier était reconnu apôtre des nations, tandis que Pierre avait pour son domaine l’évangélisation des Juifs (Galates 2.7 ; Galates 2.8), ne s’oppose pas à cette hypothèse, car, d’une part, des colonies juives étaient établies dans toutes les provinces d’Asie Mineure, et, d’autre part, cette délimitation de leurs domaines respectifs, qui avait eu pour but immédiat de légitimer l’apostolat de Paul et d’en assurer l’indépendance, ne fut pas observée strictement dans la suite ; Paul s’adressait aux Juifs qu’il rencontrait dans les villes païennes, et beaucoup de Juifs faisaient partie des Églises qu’il fonda (Actes 16.3 ; Actes 16.13 ; Actes 17.1-4 ; Actes 10-12 ; Actes 18.4 ; Actes 19.8) ; Pierre, de même, dut se sentir libre de comprendre les païens dans son travail d’évangélisation. Ce travail le rapprocha de la Grèce, si même il ne le conduisit jusque dans ce pays. Dans 1 Corinthiens 9.5, Paul mentionne incidemment, comme une circonstance bien connue des Corinthiens, le fait que Céphas conduit partout avec lui son épouse. L’existence d’un parti de Céphas dans l’Église de Corinthe (1 Corinthiens 1.12) ne prouve pas que Pierre ait été dans cette ville, car ce parti peut avoir été formé par des gens venus de Palestine, qui se réclamaient du chef des apôtres ; mais Pierre aurait-il joui d’une telle autorité à Corinthe, s’il n’avait jamais franchi les limites de la Judée ? Enfin, la première épître qui lui est attribuée peut être invoquée comme l’indice de son apostolat en Asie Mineure. Sans doute, elle ne renferme pas, comme la plupart des lettres de Paul, des salutations pour des amis personnels de l’auteur. Mais son caractère d’encyclique, adressée à des Églises réparties en plusieurs provinces, ne permettait pas à Pierre d’y inclure des messages individuels. L’épître dite aux Éphésiens n’en contient pas non plus. Si Pierre n’avait jamais eu de rapports avec les Églises d’Asie Mineure, quelles raisons aurait-il eues de leur adresser sa lettre plutôt qu’à d’autres ?
L’hypothèse d’une activité de Pierre hors de Judée ne repose, il est vrai, que sur ces indices peu nombreux et incertains. De fait, l’histoire est muette sur les vingt dernières années de la vie de l’apôtre. La tradition catholique, sur laquelle repose tout l’édifice de la papauté, supplée à cette lacune, en rapportant que Pierre vint de bonne heure à Rome, fonda l’Église de cette ville, la gouverna vingt-cinq ans, et fut ainsi le premier des souverains pontifes. Les textes les plus incontestables démentent cette tradition. Pierre n’avait pas fondé l’Église de Rome et n’était pas encore venu à Rome, quand Paul écrivit l’épître aux Romains, dans l’hiver de 58 à 59 (Romains 1.13-15, comparez 15.20). Pierre ne se trouvait pas à Rome quand Paul écrivait de cette ville, en 63, sa lettre aux Philippiens et dépeignait la position où il se trouvait dans les termes que nous lisons Philippiens 1.15-18, 2.20, 21. Certains savants ont mis en doute que Pierre ait jamais été à Rome. Cependant sa mort dans la capitale de l’empire semble établie par des témoignages dignes de foi. Le fait que Pierre ait terminé sa carrière par le martyre paraît attesté dans Jean 21.19, où l’auteur le mentionne comme un accomplissement de la prédiction de Jésus. Or, aucune Église, autre que Rome, n’a jamais revendiqué l’honneur de compter Pierre au nombre de ses martyrs. Environ trente ans après l’époque présumée de la mort de Pierre, Clément de Rome, dans son épître aux Corinthiens (chapitres 5 et 6), cite des exemples de serviteurs de Dieu qui furent victimes du zèle inique des païens, et, après avoir nommé des fidèles de l’ancienne Alliance, il ajoute : Venons-en aux combattants qui ont été le plus près de nous. Prenons les généreux exemples de notre génération. C’est par haine et envie que les plus grandes et les plus fidèles colonnes ont été persécutées et tourmentées jusqu’à la mort. Mettons devant nos yeux les excellents apôtres (On propose aussi de traduire : Prenons devant les yeux nos excellents apôtres). : Pierre, par l’effet d’une haine inique, a enduré non pas une ou deux, mais de multiples épreuves, et, ayant ainsi souffert la mort du martyr, est allé dans le lieu de la gloire, qui lui était dû. Il continue en relatant la mort de Paul, puis il dit : À ces hommes qui se sont conduits saintement a été ajoutée une grande multitude d’élus qui, ayant souffert, à cause de la haine dont ils étaient l’objet, beaucoup de mauvais traitements et de supplices, ont été, parmi nous, le plus bel exemple. Il fait allusion aux chrétiens de Rome, qui furent victimes de Néron. C’est à Rome aussi que mourut Paul. Il est donc très probable que le martyre de Pierre eut le même théâtre. Un passage d’Ignace (épître aux Romains, chapitre 4) semble faire allusion à un ministère de Pierre à Rome. Papias racontait que l’Évangile de Marc était né des prédications de Pierre, auquel Marc servait d’interprète (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, III, 39) ; or cet Évangile parut à Rome. Enfin, notre épître, qui est très probablement datée de Rome, désignée par le nom de Babylone (5.13, pemière note), constitue, même si elle n’est pas authentique, une preuve de la présence de Pierre à Rome.
Quant à la date de l’arrivée de Pierre à Rome, les uns la fixent après le massacre des chrétiens, ordonné par Néron à la fin de l’été 64. Weizsäcker pense qu’en apprenant la terrible épreuve qui venait de frapper ses frères de Rome, Pierre, n’écoutant que son courage, vint affermir l’Église ébranlée. Cette conduite serait conforme à la nature généreuse du disciple qui disait à Jésus : Je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort (Luc 22.33). Et cette fois il sut tenir sa résolution. Après un court ministère dans la capitale, il y subit à son tour le martyre, dans les conditions particulièrement cruelles auxquelles Clément fait allusion, d’autres historiens sont conduits, par divers indices, à admettre que Pierre périt dans la tourmente même déchaînée par Néron sur l’Église de Rome. Caïus, presbytre romain de la fin du second siècle, rapporte que de son temps l’on voyait encore le trophée de Pierre, c’est-à-dire son tombeau, ou le monument élevé sur le lieu de son supplice, près du Vatican. Or ce fut au même endroit, dans les jardins d’Agrippine, que Néron livra les chrétiens à des tortures variées, parmi lesquelles Tacite (Annales XV, 44) mentionne le supplice de la croix. Ce supplice fut précisément, d’après d’anciennes traditions, celui qui fut infligé à Pierre. Il faudrait donc supposer que Pierre vint à Rome à la fin de 63 ou au commencement de 64, à l’époque à peu près où Paul, libéré de sa première captivité, quittait cette ville. Le voyage de Marc en Asie Mineure, mentionné Colossiens 4.10, ne fut peut-être pas sans influence sur la résolution de Pierre. Il eut en tout cas pour effet de faire passer Marc de l’entourage de Paul dans la société de Pierre (1 Pierre 5.13). Si l’épître aux Colossiens a été écrite à Rome, et si c’est de là que Marc entreprit son voyage, il put renseigner Pierre sur la situation de l’Église de Rome et sur les difficultés que les judaïsants suscitaient à Paul (Philippiens 1.15 et suivants), sur les espérances de Paul d’être rendu à la liberté (Philippiens 1.25) et sur ses projets ultérieurs ; il put, par ces nouvelles, déterminer Pierre à se rendre à son tour dans la capitale de l’empire. Et si l’épître aux Colossiens a été envoyée antérieurement déjà, de Césarée, Marc n’en devint pas moins un vivant trait d’union entre Pierre et Paul, et son influence ne fut point étrangère au départ de Pierre pour Rome, où il l’accompagna (1 Pierre 5.13).
Le ministère de Pierre à Rome, si court qu’il ait été, et grâce au martyre qui le couronna, assura à cet apôtre la position hors pair qu’il occupe dans la tradition, dès le second siècle. Il la dut d’ailleurs autant à ce qui lui manquait, qu’à ses qualités généreuses. N’étant pas doué de l’esprit profond et original d’un Paul ou d’un Jean, il était plus accessible à l’intelligence de la majorité, et son caractère influençable, qui le disposait à montrer un certain opportunisme, ne nuisit point à sa popularité.
Mais, pour que le jugement porté sur Pierre soit équitable, et la caractéristique de son rôle complète, il faut tenir compte aussi de l’œuvre que le Saint-Esprit a accomplie en lui. Cette action de l’Esprit lui donna aux heures décisives de la fondation de l’Église un courage admirable et une fermeté inébranlable. Elle éclaira son intelligence et le rendit capable d’accueillir le premier païen dans l’Église et de défendre cet acte contre les critiques des judaïsants (Actes chapitres 10 et 11). Elle le rendit humble et lui fit reconnaître le prix de cette vertu qui ne lui était point innée (Marc 14.29 ; 1 Pierre 5.5-6). Elle opéra surtout en lui cette régénération qu’il célèbre en termes magnifiques à l’entrée de son épître, et par laquelle il saisit dans sa profondeur et sa richesse la rédemption qui nous est offerte en Jésus-Christ. La lettre qui nous a été conservée sous son nom en est la preuve.
Le témoignage de l’antiquité lui est favorable, sans exception. Renan la dit un des écrits le plus anciennement et le plus unanimement cités comme authentiques. Eusèbe, qui la range parmi les écrits qui n’ont jamais été contestés (homologoumènes), rapporte que Papias (Histoire Ecclésiastique, III, 39) et Polycarpe (Histoire Ecclésiastique, IV, 15) citaient la première de Pierre comme un écrit de l’apôtre. Or ces deux Pères représentent l’opinion d’Églises auxquelles la lettre est adressée. Si elle n’était apparue que vers l’an 100, ces Églises l’auraient-elles reçue, à une époque où elles comptaient encore des hommes qui pouvaient attester que, du vivant de l’apôtre, ils n’avaient eu aucune connaissance d’une lettre émanant de lui ? (Polycarpe, Philippiens I, réunit des citations de Actes 2.24 et de 1 Pierre 1.8, de manière à donner à penser qu’il attribue les deux paroles à l’apôtre). Clément Romain n’a pas de citations formelles de notre épître, mais il emploie des expressions qu’elle contient également. Elle se trouve dans les plus anciennes versions, à commencer par la Peschito. Elle manque dans le canon de Muratori ; il se peut qu’elle ait figuré sur une partie perdue de ce document4 ou qu’elle y ait été omise par une erreur de copiste. Enfin, la seconde épître canonique de Pierre prouve que notre épître a été attribuée très tôt à l’apôtre (2 Pierre 3.1).
Cependant un nombre considérable de critiques contestent que notre épître soit l’œuvre de l’apôtre Pierre. Ils se fondent principalement sur deux raisons. C’est d’abord la relation de dépendance dans laquelle cet écrit se trouve à l’égard des épîtres de Paul : il se présente à nous comme l’œuvre d’un disciple de Paul. Si Pierre en était l’auteur, il aurait été dépourvu de toute originalité. Or, nous ne saurions nous faire une telle idée de l’homme que Jésus a caractérisé comme un rocher, qui fonda l’Église à Jérusalem et eut à Corinthe un parti qui se réclamait de lui. L’autre raison de refuser notre épître à l’apôtre Pierre, c’est que les chrétiens auxquels elle est adressée sont depuis peu soumis à la persécution de la part des autorités (4.12) ; ils ont à répondre de leur foi devant les tribunaux (3.15-17) ; et cette persécution s’est étendue à leurs frères dans le monde entier (5.9). Or l’histoire n’a pas conservé le souvenir d’une persécution générale exercée contre les chrétiens avant l’époque de Domitien ou même de Trajan. La célèbre correspondance que Pline le jeune, gouverneur de Bithynie, eut avec ce dernier empereur, indique une situation identique à celle où sont les destinataires de l’épître. Pline consulte Trajan au sujet de la procédure à suivre envers les chrétiens : doit-il les poursuivre pour des actes délictueux seulement, ou le simple fait qu’ils invoquent le nom de Christ est-il un motif suffisant de les mettre à mort ? Trajan ordonne de les punir comme chrétiens. C’est ainsi que les lecteurs de l’épître ont à souffrir pour le nom de Christ (4.14-16). Elle date donc du règne de Trajan, d’autres critiques la placent à l’époque de Domitien, car des persécutions cruelles furent exercées alors déjà sur les chrétiens, spécialement en Asie Mineure, où le culte rendu à l’empereur était célébré avec une ferveur fanatique.
Enfin, le fait que Clément et Polycarpe font des emprunts à notre épître, mais sans nommer Pierre comme son auteur, a donné naissance à l’hypothèse qu’elle était à l’origine un fragment d’une homélie composée entre 83 et 93, peut-être même dix ou vingt ans plus tôt, et qui circula anonyme jusque vers le milieu du second siècle. Entre 150 et 175, on aurait ajouté 1.1-2 et 5.12-14, pour donner à cet ancien écrit une autorité apostolique. L’adjonction aurait été faite par l’auteur de la seconde de Pierre.
Les arguments sur lesquels on se fonde pour refuser à l’apôtre Pierre notre épître ne sont point décisifs. À les examiner attentivement, ils se réduisent à peu de chose. Les ressemblances qu’elle présente avec les épîtres de Paul se limitent à celles aux Éphésiens et aux Romains. Elle rappelle la première par l’action de grâces qui l’ouvre : Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ… (1.3, comparez Éphésiens 1.3). L’exhortation à une vie opposée à celle des païens (1 Pierre 1.14 et suivants) contient des expressions qui se retrouvent Éphésiens 4.17-18. Par contre, l’image de l’édifice qui s’élève sur Christ, la pierre de l’angle (2.4-8), est employée d’une manière différente (Comparez Éphésiens 2.19-22). Les deux lettres se terminent par une exhortation à veiller et à combattre l’ennemi des âmes (1 Pierre 5.8 et suivants ; Éphésiens 6.10 et suivants). Les passages parallèles de l’épître aux Romains ne se trouvent guère que dans les chapitres 12 et 13. Comparez 1 Pierre 1.14 et Romains 12.2 ; 1 Pierre 2.2, 5 et Romains 12.1 ; 1 Pierre 3.8-12 et Romains 12.16-18 ; 1 Pierre 2.13-17 et Romains 13.1-7 ; 1 Pierre 4.10, 11 et Romains 12.6 et suivants. On peut relever encore dans 1 Pierre 2.24 une pensée qui rappelle Romains 6.11, dans 1 Pierre 4.1 une idée analogue à celle de Romains 6.7, et dans 1 Pierre 4.13 l’idée de Romains 8.17. Enfin, dans la citation de Ésaïe 28.16, faite au chapitre 2, verset 6, l’auteur de notre épître donne une traduction qui diffère sensiblement de celle donnée par Paul dans Romains 9.33, et qui n’est pas identique non plus à la version des Septante. Ce qui ressort de ces comparaisons, c’est que notre auteur, traitant les mêmes sujets que Paul dans quelques passages de ses épîtres aux Romains et aux Éphésiens, exprime des pensées semblables en des termes qui rappellent ceux de l’apôtre des gentils. Mais il ne reproduit textuellement aucune phrase de ce dernier. Il donne à sa pensée un tour qui lui est propre ; il emploie des expressions qui ne se trouvent pas ailleurs : faire renaître (1.3-23), la fraternité (1 Pierre 2.17 ; 1 Pierre 5.9), s’ingérant dans les affaires d’autrui (4.15), inflétrissable (1.4), etc. L’accuser d’imitation servile est une injustice manifeste. Pour les idées, de même, il n’a pas la notion paulinienne de la justification par la foi. À ses yeux, la foi se confond avec l’espérance ; elle est la ferme assurance du salut à venir, plutôt que l’union avec le Sauveur (1.3-9, 21). Il donne des enseignements tout à fait originaux sur l’activité des prophètes (1.10-12), l’imitation de Jésus-Christ (2.21 et suivants), la prédication de Christ aux esprits en prison (3.18 et suivants).
La dépendance à l’égard des écrits de Paul étant réduite à ces proportions, est-il inadmissible que Simon Pierre, tel que nous le connaissons d’après les récits des Évangiles et des Actes, ait subi l’influence du puissant génie de Paul, que sa conception du salut se soit développée sous l’action des enseignements de son collègue et ait été marquée en quelque mesure de son empreinte ? Aucun trait de son histoire ne nous le présente doué d’une forte individualité. Quand Jésus l’a appelé rocher, il lui a montré ce qu’il devait devenir par la grâce de Dieu, non ce qu’il était par nature. Au sein de l’Église de Jérusalem, il est éclipsé par Jacques, le frère du Seigneur. À Antioche, son attitude hésitante le fait reprendre par Paul. Sa pensée et son style ne devaient-ils pas nécessairement subir les influences d’autrui ? Son épître ne rappelle pas seulement les épîtres aux Éphésiens et aux Romains. Elle offre aussi des ressemblances frappantes avec l’épître de Jacques (Comparez l’Introduction à cette épître). Il n’y a rien d’étonnant à ce que Pierre ait connu cet écrit d’un homme avec lequel il fut en relations étroites. Quant aux réminiscences des lettres de Paul, le fait qu’elles proviennent toutes des deux épîtres aux Romains et aux Éphésiens est remarquable. Si Pierre a écrit notre épître de Rome en 64, il avait lu certainement l’importante lettre que Paul avait adressée à cette Église cinq ans auparavant ; et quant à l’épître dite aux Éphésiens, elle est une encyclique adressée à diverses Églises d’Asie Mineure. N’était-il pas naturel que Pierre, écrivant à ces mêmes Églises, s’enquît de ce que Paul leur avait écrit peu auparavant ? Il put en être informé par Marc, qui se trouvait auprès de Paul au moment de la composition de l’épître aux Éphésiens (Colossiens 4.10). Marc fut peut-être l’un des porteurs de cette encyclique, que l’on reproduisit à plusieurs exemplaires dès l’origine et qui parvint ainsi à Pierre. Au contraire, si la première épître de Pierre n’a été rédigée que vers l’an 100, pourquoi son auteur a-t-il borné ses imitations à ces deux épîtres de Paul ?
On a émis encore une supposition, qui expliquerait à un autre point de vue la teinte paulinienne du style de notre épître. Pierre, qui était un simple pêcheur galiléen, ne possédait pas assez le grec pour écrire lui-même en cette langue. Il avait besoin de Marc comme interprète dans ses prédications, au dire de Papias. À plus forte raison dut il avoir un collaborateur dans la rédaction de son épître. Or nous lisons à la fin de celle-ci (5.12) : Par Sylvain, qui est, comme je l’estime, un frère fidèle, je vous ai écrit en peu de mots. Ce témoignage rendu à Silvain ne s’explique bien que si Pierre l’a chargé de formuler en grec les enseignements et les exhortations qu’il désirait faire parvenir à ses frères (Von Soden, Handcommentar, troisième édition, suppose que Silvain écrivit a lettre de sa propre inspiration, longtemps après la mort de Pierre, et l’attribua à l’apôtre pour lui donner plus d’autorité. Cette fraude pieuse est peu vraisemblable de la part d’un homme qui fut un des missionnaires les plus actifs de la période créatrice). Silvain ou Silas avait été collaborateur de Paul ; il avait fondé avec lui quelques-unes des Églises d’Asie Mineure, auxquelles notre épître est adressée (Actes 15.40 ; Actes 16.5). Il a signé avec Paul les épîtres aux Thessaloniciens. Il s’était pénétré de la pensée et du style de cet apôtre ; et, tout en reproduisant fidèlement les idées de Pierre, il put leur imprimer sur quelques points une forme qui rappelle celle de son premier maître.
Quant à l’argument tiré de la situation des destinataires de l’épître, il ne résiste pas non plus à un examen impartial. Le texte, si on ne l’interprète pas arbitrairement, ne parle pas du tout d’une persécution systématique et sanglante, exercée par les autorités contre les chrétiens. Il parle d’outrages pour le nom de Christ (4.14), ce qui suppose des mauvais procédés individuels plutôt que des condamnations judiciaires (Comparez 2.18-23). Les souffrances que les lecteurs devaient endurer comme chrétiens, et non comme meurtriers, voleurs, ou comme s’ingérant dans les affaires d’autrui (4.15-16), n’étaient pas nécessairement des peines (ni surtout la peine de mort) infligées par les tribunaux ; elles consistaient avant tout en calomnies qui représentaient les chrétiens comme des malfaiteurs et les atteignaient en leur qualité de chrétiens (1 Pierre 2.12 ; 1 Pierre 3.16 ; 4.4-5). Enfin, quand l’apôtre exhorte ses frères à être toujours prêts à se défendre (grec pour l’apologie), ce dernier terme n’implique pas une comparution devant un tribunal ; son emploi dans 1 Corinthiens 9.3 et 2 Corinthiens 7.11 prouve qu’il peut s’entendre de la défense présentée dans des entretiens particuliers ; et les mots ajoutés dans notre texte : Devant quiconque vous demande raison de votre espérance, démontrent qu’ils doivent être pris dans ce sens. Nous ne prétendons pas nier que les destinataires de l’épître n’aient été parfois inquiétés par les autorités, qu’ils n’aient encouru des condamnations et subi des violences de la part de leurs ennemis, que plus d’un parmi eux n’ait versé son sang pour l’Évangile. Mais il en fut ainsi partout dès l’origine (1 Thessaloniciens 2.14 ; 3.3-4 ; 2 Thessaloniciens 1.5 ; 2 Corinthiens 1.8 ; 11.23-26 ; et les récits des Actes). Nous accordons même qu’il y avait eu récemment une aggravation dans la position des chrétiens ; Pierre exhorte ses lecteurs à ne point trouver étrange la fournaise qui est au milieu d’eux ; il leur annonce que c’est le moment où le jugement va commencer par la maison de Dieu (4.12-19) ; que les mêmes souffrances sont imposées à leurs frères dans le monde. Cette situation répond à ce que nous savons des temps qui précédèrent le massacre des chrétiens de Rome. Tacite en introduit le récit par ces mots : Néron, voulant mettre fin à la rumeur (qui l’accusait d’avoir allumé l’incendie de Rome), inventa des coupables et infligea les supplices les plus raffinés à des gens haïs pour leurs infamies, que le vulgaire appelait chrétiens. (Annales, XV, 44). Si les chrétiens étaient haïs à Rome pour les infamies qu’on leur imputait, ils l’étaient également ailleurs. Cette haine s’était accrue avec leur nombre. Dès le règne de Néron, elle coûta la vie, en Asie en particulier, à plus d’un témoin du Christ. L’Apocalypse nous en fournit la preuve (Apocalypse 2.9 ; Apocalypse 2.10-13 ; 3.8 ; 6.9-10).
Rien ne nous paraît donc s’opposer à ce que notre épître ait été écrite par Pierre. Il l’a écrite dans les derniers temps de sa vie, à la fin de 63 ou au commencement de 64, s’il a terminé sa carrière dans l’automne de cette année ; un peu plus tard, s’il n’a subi le martyre que vers la fin du règne de Néron (B. Weiss (Einleitung, page 416) estime qu’elle fut écrite vers 55, de Babylone, et adressée à des communautés judéo-chrétiennes qui se seraient formées en Asie Mineure antérieurement à l’activité missionnaire de Paul. Jacques, dans son épître, et Paul, dans les épîtres aux Romains et aux Éphésiens, auraient imité Pierre. Cette opinion n’a été admise que par Kuhl dans son commentaire de la collection Meyer). C’est de Rome, désignée par le nom symbolique de Babylone, que la lettre est datée (5.13, première note). L’antique cité de la vallée de l’Euphrate n’existait plus, et s’il y avait en Babylonie des colonies juives florissantes, la tradition n’a conservé aucun souvenir d’une mission de Pierre dans ces contrées.
Notre épître est destinée à des chrétiens éprouvés ; elle les exhorte à marcher conformément à leur sainte vocation et à souffrir patiemment, en regardant à Christ qui a souffert pour eux. Ce contraste entre l’espérance glorieuse, la joie ineffable qu’un salut, acquis à grand prix, assure au racheté de Christ, et l’opprobre, les persécutions, les souffrances auxquels il est exposé comme chrétien, domine toute l’épître.
L’épître s’ouvre par un aperçu présenté comme un acte d’adoration et de louanges de toute l’œuvre du salut (1.3-12).
Elle contient ensuite des exhortations, que l’on peut grouper en trois séries : 1.13 à 2.10 ; 2.11 à 4.19 ; 5.1-11.
Nous y distinguons les paragraphes suivants :