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Le mot religion en français vient du latin religio. On lui a donné deux étymologies. Selon les uns, religio se rattacherait au verbe religare (signifiant : relier, réunir) et signifierait la relation des hommes avec Dieu ; selon les autres, religio dériverait de relegere (signifiant : recueillir) et voudrait dire : un recueil de formules ou de pratiques religieuses.
Cette dualité d’interprétation à l’égard du mot se retrouve dans l’esprit des savants quand il s’agit de définir la chose. Les uns, en effet, insistent -surtout sur le côté psychique de la religion et voient dans ce que l’on a appelé les expériences religieuses (état ou acte de foi, conversion, mysticisme, impulsions ou inhibitions religieuses, etc.) l’essentiel de la religion. Les autres s’attachent plus volontiers aux phénomènes visibles et sensibles de la religion et à ses manifestations sociales (rites, cérémonies, mythes, sacrifices, etc.) comme étant les seuls faits capables de nous révéler sa vraie nature.
En général, les sociologues y voient un moyen de conservation des valeurs, les psychologues une réaction totale de la personnalité, les philosophes un processus de finalité.
À la vérité, la religion est à la fois attitude psychique et processus social. Son côté social est plus accusé dans les milieux primitifs où la personnalité s’affirme moins et où l’individualité s’efface devant l’importance accordée aux démarches collectives. Son côté psychique, par contre, devient plus sensible à mesure que la civilisation progresse et que la valeur de la personnalité morale s’accuse davantage.
L’une des définitions qui tiennent le mieux compte de ces deux faces de la religion est celle de Marillier : « La religion est l’ensemble des états affectifs suscités dans l’esprit de l’homme par l’obscure conscience de la présence en lui et autour de lui de Puissances, à la fois supérieures et analogues à lui, avec lesquelles il peut entrer en relation, — des représentations engendrées par ces sentiments et qui leur fournissent des objets définis, — et des actes rituels auxquels il est provoqué par l’action combinée de ces émotions et de ces croyances. »
Réaction de la nature profonde de l’homme aux prises avec une réalité matérielle qui heurte ses aspirations les plus hautes, la religion produit une attitude psychique qui enfante à son tour des gestes et des actes correspondants (rites) tendant à surmonter le conflit éprouvé, par l’appel à une réalité surnaturelle en accord avec les tendances les plus élevées de la conscience humaine.
À son stade primaire, il est difficile de saisir la religion autrement que comme manifestation du groupe et du clan. À ce degré inférieur, l’animisme et le totémisme des tribus sauvages sont très fortement teintés de magie, tellement que certains historiens de la religion ont voulu voir dans la magie l’origine même de toute religion. Il ne semble pas qu’il en soit ainsi. Les deux mouvements paraissent s’être développés parallèlement, de telle sorte que l’opinion de ceux qui tiennent la magie pour la technique ou la stratégie de l’animisme (Hubert et Mauss, Reinach) a pour elle une plus grande part de vraisemblance. L’ensemble des tendances de l’animisme primitif constitue une sorte de projection dans le monde objectif des processus mentaux du sauvage. Le Primitif n’a pas encore fait la différence entre ce qui se passe en lui et ce qui se passe hors de lui. Il croit pouvoir agir sur les puissances qui lui sont étrangères comme il agit sur ses propres états psychiques. Un désir, exprimé à l’extérieur par un acte qui le manifeste, doit immédiatement provoquer sa réalisation : c’est toute la magie ! Et l’on imagine aisément qu’elle compénètre une religion qui n’est tout entière que la projection, dans le monde extérieur, des états d’âme des fidèles qui la pratiquent, une animation de tous les objets de leur univers.
Une autre notion inhérente aux religions primitives est celle d’interdit ou de tabou, qui tend à créer dans la vie humaine une opposition entre le profane et le sacré, entre le pur et l’impur (voir article). Cette opposition, très marquée encore dans la religion de l’Ancien Testament, a été souvent relevée comme un des traits fondamentaux de la vie religieuse. Il convient cependant de remarquer que, dans les religions supérieures et particulièrement dans le christianisme, elle tend à s’atténuer ; l’enseignement de Jésus vise, en effet, à étendre à tous les détails de la vie le caractère du sacré. La magie (voir ce mot), au contraire, loin d’avoir disparu des religions supérieures, ne cesse d’y refleurir sous des aspects nouveaux et parfois inattendus.
À mesure que les peuples s’élèvent sur l’échelle de la civilisation et de la culture, leurs émotions religieuses s’affinent et se précisent et leurs conceptions religieuses se modifient. C’est ainsi que la métaphysique évolue : le concept des puissances surnaturelles varie de l’animisme au polythéisme, du polythéisme au monothéisme ; la valeur des mythes change, celle des rites aussi. De réaliste qu’elle était, elle devient, dans une large mesure, symbolique. S’étant construit au cours des siècles tant d’images (idoles) différentes du dieu qu’il cherche, l’homme devient peu à peu conscient de la relativité de ses représentations religieuses et de l’approximation des symboles cultuels ou dogmatiques qu’il emploie. Par contre, l’importance centrale de la personnalité s’imposant à lui de plus en plus, il en vient à s’attacher de plus en plus aussi aux religions qui se groupent autour d’une personne, autour d’un fondateur ou d’un révélateur (bouddhisme, christianisme, islam). Il convient de remarquer cependant que dans les religions supérieures elles-mêmes les forces qui agissent chez l’animiste et le fétichiste ne cessent de se donner carrière et de provoquer, au sein même de l’élaboration des dogmes et des cérémonies, des retours en arrière, des chutes dans la magie, des naufrages dans la collectivité, dont l’esprit a peine à revenir.
On a souvent défini la religion : un moyen de conservation des valeurs (Höffding, Wright). Il est de fait que les religions inférieures primitives se révèlent d’admirables agents de conservation des valeurs sociales du groupe. Mais, au degré supérieur, et particulièrement quand elle se centralise autour d’une personnalité morale de premier ordre, la religion devient non seulement un agent conservateur des valeurs acquises, mais un agent créateur de valeurs nouvelles. En effet, dans les religions supérieures de cet ordre, le rôle de la volonté et de la conscience morale est prépondérant. Ce n’est plus seulement l’affectivité et l’intellect qui sont en jeu pour produire ou critiquer des métaphysiques et des dogmes, pour instituer ou interpréter des rites et des symboles. La volonté entre en activité pour ordonner la vie ; la conscience s’éveille au mystère de la personne divine et de la personne humaine. En un mot, l’esprit s’approprie toutes les forces de la mentalité humaine en vue de la création d’un être nouveau. L’humanité, dans ces religions, accède à la naissance de l’Esprit ; elle se surpasse elle-même dans ce qu’elle a de bestial. Cependant, chose étrange, l’homme se reconnaît serviteur des Puissances surnaturelles qu’autrefois, par la magie, il prétendait asservir et plier à son caprice. En même temps la concrétisation dogmatique, la métaphysique tend à se muer en explication morale de la vie et le rite en symbole d’appropriation des plus hautes vérités morales. Autrement dit, la religion se dépouille de toute magie et rejette de son sein tout ce qui n’est pas créateur de vie spirituelle.
Parmi ces relierions, c’est au christianisme que revient la place d’honneur ; car, en abordant la vie du Christ, nous n’avons plus le spectacle de la psyché humaine se projetant dans les choses en s’imaginant les dominer, mais bien plutôt le spectacle de la vie divine s’incarnant douloureusement dans la chair humaine et lui révélant laborieusement la vraie nature de la vie, cette moralité qui est service et don de soi jusqu’à la mort et qui seule aboutit à une rédemption de l’univers par la création d’une humanité nouvelle et fraternelle. Geo. B.
Ce mot abstrait de « religion » n’est pas employé dans l’Ancien Testament, qui parle de : « craindre, servir, adorer l’Éternel » (Psaumes 2.11 ; Psaumes 5.7 ; Psaumes 29.2, Proverbes 1.7 ; Proverbes 14.27), ou de « servir d’autres dieux » (Deutéronome 4.19 ; Deutéronome 29.28). Dans le Nouveau Testament, le mot « religion » rend le rare mot grec thrêskéïa, pour distinguer entre elles diverses formes de religion (Actes 26.5) ou pour souligner le contraste entre la religion de forme et la vie morale (Jacques 1.26 et suivant). Pour l’épithète : religieux, qui dans certaines versions rend le grec deïsidaïmôn (signifiant : qui craint les dieux) du jugement porté par saint Paul sur les Athéniens, voir Athènes.