Warning: include(includes/header.php): Failed to open stream: No such file or directory in /home/dh_32wkfy/bible.audio/Annotee/Introduction-Prophetes.php on line 607

Warning: include(): Failed opening 'includes/header.php' for inclusion (include_path='.:') in /home/dh_32wkfy/bible.audio/Annotee/Introduction-Prophetes.php on line 607

Introduction aux livres prophétiques Bible Annotée

I. De la prophétie en général

La Bible est le monument de l’histoire du salut. Elle retrace l’œuvre de l’éducation et de la rédemption du genre humain, accomplie par Dieu ; même œuvre à la fois de guérison et de progrès, servant du même coup à relever l’humanité de sa déchéance et à la faire parvenir à sa destination finale.

Si le péché n’était qu’un égarement de l’intelligence, une erreur, comme le pensait la sagesse grecque, il suffirait d’une révélation d’en haut pour opérer le salut, et la Bible ne serait dans ce cas qu’un recueil d’enseignements divins. C’est ainsi que plusieurs se la représentent ; c’est sous cette forme que Socrate et Platon paraissent avoir attendu le don du ciel.

Mais le péché est plus qu’une erreur : c’est un fait, une déviation de la volonté, un égarement du cœur, une révolte. Le salut a donc dû revêtir aussi le caractère d’un fait historique. La révélation divine rentre sans doute dans ce fait, comme élément nécessaire ; mais elle n’en est point l’essence. Aussi est-ce bien comme une histoire que le salut divin nous est présenté d’un bout à l’autre des saintes Écritures. Annoncé et préparé dès les premiers jours de l’humanité, ce salut apparaît tout à coup, à un moment donné de l’histoire et sur un point déterminé du globe, comme un fait saisissable et positif, dans la vocation d’Abraham. L’appel divin, adressé au patriarche vers l’an 2 000 avant Jésus-Christ, est le germe fécond d’une sainte et puissante histoire. L’œuvre ainsi commencée grandit et s’affermit avec la famille patriarcale ; elle traverse toute l’histoire du peuple d’Israël et aboutit à l’apparition du Christ et de son corps spirituel, l’Église. Dès lors, par le moyen de ce nouvel organe, l’œuvre rédemptrice s’étend de proche en proche et enveloppe progressivement toute la race humaine.

C’est à ce point de vue essentiellement historique qu’il faut se placer pour comprendre le rôle du peuple d’Israël dans l’histoire de l’humanité, et plus spécialement celui du ministère prophétique dans l’histoire d’Israël.

Ce qui distingue absolument le peuple d’Israël de tous les autres, c’est assurément, comme on le reconnaît généralement, l’adoration d’un Dieu unique, le principe monothéiste dont il est le porteur. Toutefois ce trait caractéristique ne prend toute sa valeur qu’autant que nous ne nous bornons pas à reconnaître dans le monothéisme israélite un dogme abstrait, mais que nous discernons au fond de cette croyance l’intuition d’un plan vaste et saint, conçu par la bienveillance divine en faveur de l’homme déchu, l’intuition d’une économie de salut dont Israël est appelé à être l’agent et qui doit s’épanouir en un règne divin embrassant toutes les familles de la terre1. La conscience de ce mandat sublime a été dès le premier jour et est encore aujourd’hui l’âme de la vie de ce peuple, et les hautes espérances qui s’y rattachent n’ont cessé de l’éclairer et de le soutenir à travers les plus sombres péripéties de son histoire.

Israël se sent et se sait le peuple du salut, et par conséquent aussi le peuple d’un avenir qui concerne toute l’humanité.

Les autres peuples ne vivent qu’en vue de leur prospérité présente et de leur agrandissement particulier. Nous pouvons étudier aujourd’hui les monuments récemment découverts, dans lesquels les peuples anciens ont retracé leurs faits et gestes et laissé percer leur pensée intime.

Qu’apprenons-nous par ces milliers d’inscriptions que déchiffre une science persévérante ? Une chose : c’est que pour chacun de ces peuples l’histoire du monde se réduit à sa propre histoire. Et celle-ci, qu’est-elle ? Le tableau de l’accroissement de leur puissance, de l’embellissement de leur capitale, de la construction de leurs temples et de leurs palais, l’énumération de leurs expéditions et de leurs conquêtes annuelles, l’enregistrement complaisant et satisfait des chiffres du butin conquis sur les populations déportées et du nombre des têtes de vaincus amoncelées à la porte des cités saccagées. Voilà l’histoire pour ces nations : le présent, et quel présent ! Aussi Jésus les désigne-t-il par cette expression remarquable : « les nations du monde », c’est-à-dire qui ne vivent qu’en vue de ce monde2. Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Romains, tous semblent dire à leur tour : « L’humanité, c’est moi. Les autres peuples ne sont là que pour me servir de marche-pied ». C’est ce despotisme hautain, cet égoïsme brutal que dépeint Daniel, quand il compare les grandes monarchies anciennes à une série de bêtes féroces surgissant de l’océan de l’humanité.

Quel idéal supérieur, rendu plus remarquable, encore par ce contraste, brille aux yeux d’Israël et sert de point de mire à sa marche ! Ce petit peuple sait que son histoire est celle de toute l’humanité. Il en contemple d’avance le terme : la salut, un salut universel. Ce n’est pas la terre qui est là pour lui ; c’est lui qui est là pour toute la terre.

Ce qu’est Israël parmi les peuples, les prophètes le sont, à une plus haute puissance, au sein d’Israël lui-même.

Les personnages qui portent dans l’histoire juive le nom de prophètes, n’étaient pas essentiellement, comme on se le figure parfois, les révélateurs de vérités religieuses générales, qui auraient pu être enseignées à tel moment aussi bien qu’à tel autre. C’étaient, comme on l’a de plus en plus reconnu dans ces derniers temps, des hommes d’action, des instruments de l’œuvre divine, des collaborateurs de Dieu dans l’histoire du salut. Ils travaillaient sans doute à affermir les croyances religieuses qui servaient de base à l’existence du peuple juif, telles que celles de l’unité, de la spiritualité et de la sainteté de Dieu. Mais ils s’efforçaient surtout de les appliquer à la vie et à la conduite du peuple et de diriger sa marche, ainsi que celle de ses chefs, sur la voie tracée et vers le but marqué par le plan divin. Chacun d’eux reprenait l’œuvre commune au point où son prédécesseur l’avait laissée, et cherchait à la faire progresser d’un pas vers le salut final qui en devait être le terme.

La base générale de leur activité était l’œuvre accomplie par le plus grand d’entre eux, Moïse. Celui-ci, après avoir trouvé la famille d’Abraham transformée en peuple, avait imprimé à sa vie nationale le sceau puissant de la législation sinaïtique, et en avait fait ainsi le peuple de Jéhova. Mais cette loi admirable, eût-elle été plus supérieure encore qu’elle ne l’était, à la constitution de Solon ou au code romain des Douze Tables, ne pouvait, en tant que loi, conduire Israël à sa destination et faire de lui le peuple du salut. Deux traits surtout, par lesquels elle répondait certainement aux nécessités de l’époque en vue de laquelle elle était donnée, lui imprimaient un caractère de défectuosité, quant à l’avenir, d’abord elle était nationale et, par conséquent, plus on moins particulariste ; puis son mode d’action était extérieur, autoritaire, impératif ; c’était la lettre qui ordonne ou interdit, mais non le souffle divin qui pénètre le cœur et le transforme. Les prophètes, les hommes de l’Esprit, comme les appelle l’Ancien Testament lui-même, sentaient cette double insuffisance de la loi. Ils ne pouvaient oublier les promesses de l’alliance patriarcale, ces germes féconds d’un avenir plus vaste et plus élevé que le règne de la loi, ces semences déposées par la main de Dieu même dans le sol d’une économie plus ancienne. Ils travaillaient sans cesse à empêcher que ces germes ne fussent étouffés ou ne restassent enfouis sous le poids de la légalité officielle. Ils s’efforçaient de cultiver et de développer ces principes d’une vie supérieure jusqu’au moment où ils pourraient s’épanouir richement et librement dans l’époque qu’ils appelaient la fin des jours. Conservateurs quant aux formes de la loi et de ses institutions, ils étaient ardemment progressistes quant à l’œuvre spirituelle qui devait s’accomplir sous cette enveloppe temporaire. Ils allèrent même jusqu’à évoquer l’image d’un temps où la terre entière entrerait dans l’alliance de Jéhova et où Israël ne serait plus que l’un d’entre les peuples sauvés, le frère et l’égal de tous les autres3 ; d’un temps où la loi de Sinaï ferait place à une nouvelle législation, toute intérieure, gravée par le Saint-Esprit dans les cœurs et les volontés humaines4. Ils sont ainsi à la fois les hommes du présent qu’ils jugent et stimulent, et de l’avenir qu’ils préparent. Chacun d’eux marque une étape sur la route lumineuse qui conduit de Sinaï à Golgotha.

On peut donc difficilement exagérer l’intérêt qui s’attache aux documents du ministère prophétique. M. Reuss a dit avec raison qu’aujourd’hui encore l’humanité n’a autre chose à faire « qu’à suivre la direction qu’il a été donné aux prophètes de jalonner ». Il ne s’agit point seulement, en effet, de constater dans leurs livres certaines prédictions isolées dont l’histoire démontre plus ou moins évidemment l’accomplissement. Il s’agit surtout de suivre, dans l’apparition successive et l’activité fidèle de ces agents la trace de l’œuvre de Dieu en Israël et par Israël au sein de l’humanité. Il s’agit de surprendre le degré de réalisation de cette œuvre au moment où chacun d’eux a vécu et de discerner le moyen par lequel il a su la faire progresser. Il s’agit d’étudier la pensée finale de Dieu à l’égard de notre race, telle qu’elle leur a été dévoilée, et les lois qui règlent la marche de l’humanité vers ce but, afin de pouvoir dans chaque temps en faire l’application aux circonstances présentes.

L’apparition des prophètes israélites et de leurs écrits est un fait unique dans l’histoire de l’humanité5. Il n’est pas sans exemple, à la vérité, qu’un petit peuple exerce une grande influence sur le développement de l’humanité ; l’histoire ancienne et l’histoire moderne ne sont pas dénuées de faits de ce genre. Mais ce qui est sans exemple, c’est qu’un peuple, obscur entre tous, se sente appelé à la mission sublime d’être l’instrument du salut de tous les autres, et porte en lui, à travers toutes les catastrophes, la conscience indestructible d’un tel mandat ; c’est qu’au sein de ce peuple apparaisse pendant huit à dix siècles successifs une chaîne d’hommes qui tous se sentent appelés d’en haut à travailler à cette même œuvre divine, et à préparer ce grand avenir ; c’est qu’une religion, qui se reconnaît et se proclame elle-même d’origine divine, se déclare en même temps, par la bouche de ses organes les plus éminents, destinée à disparaître devant une forme d’adoration supérieure6 et prélude, en regard de ce culte nouveau, au mot sublime du précurseur : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ». Ce qui est sans exemple, surtout, c’est qu’une telle attente aboutisse ; que l’idéal, ainsi entrevu et décrit, se réalise, et que, quand il apparaît comme fait, dans l’histoire, ce soit sous une forme plus pure encore que nul ne l’avait conçu et dégagé de tout l’alliage dont la pensée charnelle de l’homme l’avait chargé dans le cours des âges. Voilà la série de miracles qui constituent l’histoire juive. Pour apprécier la valeur morale et religieuse de l’arbre du judaïsme et celle de son jet le plus noble, le prophétisme, il faut se placer en face du terme de ce développement séculaire, contempler le fruit qui le couronne, Jésus-Christ ; puis, regardant en arrière, appliquer ce mot : « On reconnaît l’arbre à son fruit ».

Si l’apparition du prophétisme israélite est unique dans l’histoire du monde, si la vie des peuples païens ne présente rien qui en approche, c’est qu’il n’y a aussi qu’une seule œuvre de salut accomplie par Dieu en faveur de l’humanité déchue et que les prophètes en sont les agents élus.

II. Noms les plus usités pour désigner le ministère prophétique

Les noms qu’un peuple donne aux personnages, officiels ou non, dans lesquels s’incarnent le mieux sa pensée et son génie, ont une importance particulière. Trois dénominations principales sont appliquées aux prophètes dans l’Ancien Testament.

La plus usitée, la plus générale, celle qui, par conséquent, désigne avec le plus d’ampleur le ministère prophétique, est le terme de nabi.

La racine arabe d’où provient ce mot signifie, selon les uns : jaillir selon d’autres : énoncer avec véhémence.

Ce terme désigne donc en tout cas un homme parlant sous l’action d’une force qui le domine. Quand Dieu dit à Moïse, Exode 4.15-16 et 7.1, en lui promettant le secours de son frère Aaron : « Aaron, ton frère, te servira de nabi, et tu lui serviras de Dieu… Je serai avec ta bouche et avec la sienne », cela signifiait évidemment qu’Aaron aurait la mission d’énoncer, en lieu et place de Moïse, le message que Dieu confierait à celui-ci. Moïse devait être l’inspirateur d’Aaron, celui-ci l’organe de la pensée de Moïse, laquelle serait celle de Dieu même.

On voit par là que la prédiction des événements à venir n’appartient point essentiellement à l’idée de la prophétie. Toute parole inspirée d’en haut, qu’elle ait trait au passé, au présent ou à l’avenir, est, dans le sens de l’Ancien Testament, une prophétie. Chaque fois que le souffle divin, principe de toute vie dans l’univers, saisit un homme, lui révèle la pensée de Dieu sur un point quelconque et le pousse à l’énoncer, cette parole est une prophétie.

À côté de cette première dénomination, qui se rapporte surtout à la transmission du message divin aux autres hommes, il en existe deux autres qui portent sur l’acte par lequel Dieu se communique au prophète lui-même. Ce sont les termes de roé et de chozé, qui peuvent se rendre en français par les mots : voyant et contemplateur. Dans le passage 1 Chroniques 29.9, nous trouvons ces trois dénominations employées simultanément : « Les actions, du roi David, les premières et les dernières, ne sont-elles pas écrites dans le récit de Samuel le roé (voyant) et dans le récit de Nathan le nabi (prophète) et dans le récit de Gad le chozé (contemplateur) ? » Il devait, par conséquent, y avoir une différence de sens entre ces trois titres. Le second s’applique, comme nous l’avons vu, à l’énoncé du message ; le premier et le troisième se rapportent à la perception interne de la communication divine. Mais quelle est la distinction entre l’un et l’autre. Peut-être la connaissance surnaturelle du voyant (roé) portait-elle plutôt sur certains faits ou objets particuliers (comparez 1 Samuel 9.9, où Saül va consulter le voyant pour retrouver un objet perdu). Le contemplateur (chozé) se trouve placé en face d’une révélation qui a lieu sous forme de vision ou de tableau, de telle sorte qu’il peut l’étudier avec calme et s’absorber dans cette contemplation.

Nous trouvons dans Osée (9.7) une dénomination des prophètes qui renferme les trois précédentes et qui exprime, mieux que toute autre, la nature de ce ministère. Le prophète est appelé là : l’homme de l’Esprit.

III. Forme de la prophétie

Tout don extraordinaire a pour point d’attache dans la nature de l’âme une faculté primordiale, commune en quelque degré à tous les individus de l’espèce humaine ; autrement celui qui l’exerce, resterait incompris de ses semblables. Il en est, ainsi du don prophétique. Saisir la pensée de Dieu pour s’en faire l’interprète et l’instrument, est certainement une faculté originairement attachée par le Créateur à l’esprit de l’homme. C’est l’intelligence humaine dans sa plus noble fonction. Cette faculté, affaiblie, réduite à l’état embryonnaire par le péché qui a rompu la communion immédiate de l’homme avec Dieu, n’est pas absolument disparue. Et lorsque l’homme se met au service de Dieu pour concourir à son travail au sein de l’humanité, et que Dieu trouve bon de l’accepter comme son collaborateur, le don assoupi, peut se raviver, et l’Esprit de Dieu s’en servir pour produire le phénomène de l’inspiration prophétique. « L’Éternel, dit le prophète Amos, fera-t-il quelque chose, sans avoir révélé son secret à ses serviteurs les prophètes ? »7

L’exercice de ce don est intermittent, non seulement parce que la foi du prophète peut avoir ses hauts et ses bas ; mais surtout parce que toute révélation prophétique répond à un besoin actuel et déterminé. Les prophètes ont la conscience distincte du moment où le don s’éveille en eux sous l’action de l’Esprit divin, et où le phénomène de l’inspiration s’opère. La main de l’Éternel se pose sur eux ; ils sont ravis en esprit ; l’Esprit les saisit ; l’œil du corps se ferme et celui de l’âme s’ouvre8 : autant d’expressions par lesquelles ils désignent le moment décisif du contact entre l’Esprit de Dieu et leur esprit.

Chez le roé et le chozé, le don prophétique s’exerce plutôt sous la forme d’une vue interne, à laquelle correspond un objet montré ou un tableau divinement tracé. Chez le nabi, il s’agit plutôt d’une suggestion intellectuelle et morale, qui entraîne l’esprit du prophète dans le courant de la pensée divine et qui se formule bientôt en un discours inspiré.

Chez les prophètes proprement dits, le don prophétique ne s’exerce que dans l’état de veille. Le songe est généralement envisagé comme un moyen d’ordre inférieur. Il n’est employé qu’avec des rois païens, tels que Pharaon et Nébucadnézar, ou avec de simples particuliers, tels que Joseph (dans le Nouveau Testament). En général, les songeurs sont mis au même rang que les devins et condamnés avec eux.

Une différence de vue assez importante s’est produite dès les temps anciens, relativement à la manière de comprendre l’état du prophète au moment de l’inspiration, d’après les uns, le prophète perd entièrement la conscience du moi. « Pour que la lumière de Dieu brille, disait le Juif alexandrin Philon, il faut que celle de l’homme s’éteigne ». Quelques théologiens modernes ont soutenu habilement cette manière de voir. Elle trouve quelque point d’appui dans certaines expressions citées plus haut, et tirées des discours de Balaam. Mais il faut se rappeler que ce personnage avait plutôt le caractère d’un devin que celui d’un prophète. Dans la plupart des cas, les faits ne paraissent pas compatibles avec cette manière de voir. Lorsque le nabi reproduit immédiatement, sous forme de discours populaire, le contenu de la révélation qu’il a reçue, on ne peut méconnaître l’acte rationnel par lequel il s’est assimilé la pensée divine et parvient à la formuler en langage intelligible. Et quand la révélation a lieu sous forme de vision, alors même le voyant n’est pas tellement ravi en extase qu’il perde entièrement la conscience du moi. Car nous le voyons parfois jouer un rôle actif et réfléchi dans la scène de la vision dont il est témoin9.

En général, le procédé de l’Esprit divin ne consiste pas à supprimer l’activité des facultés naturelles et les conditions de leur exercice. Il préfère s’en emparer et se les assimiler, et, les élevant à un degré d’action supérieur, les appliquer ainsi à l’œuvre divine au service de laquelle il se met lui-même. Cette manière d’agir repose sur l’identité, toujours supposée, du Dieu de la grâce avec celui de la nature, de Jéhova avec Elohim.

Cette observation rend compte également d’un fait qui se rencontre plusieurs fois dans l’histoire du prophétisme, l’emploi de la musique comme moyen d’éveiller le don prophétique10. Encore ici, nous voyons l’action divine s’approprier la nature, bien loin de l’exclure.

Le don prophétique n’était point absolument lié au ministère prophétique. Saül, David, et dans le Nouveau Testament Zacharie, prophétisent sans posséder, à proprement parler, la charge prophétique. Cette charge paraît avoir reposé toujours sur un acte divin spécial, la vocation de Jéhova. Nous constatons ce fait à l’entrée de tous les grands ministères prophétiques : chez Moïse, Exode 3 ; chez Samuel, 1 Samuel 3 ; chez Ésaïe, chapitre 6, chez Jérémie, chapitre 1 ; chez Ezéchiel, chapitre 1. Et si ce moment décisif n’est pas raconté dans les écrits des autres prophètes, nous pouvons conclure de ces exemples qu’il n’en a pas moins eu lieu. Quand Amos s’écrie : « Le lion rugit ; qui ne craindra ? Le Seigneur Éternel a parlé ; qui ne prophétisera ? » il décrit d’une manière saisissante la commotion profonde produite dans l’âme du prophète par l’appel divin. La rencontre immédiate avec Jéhova avait fait sur son âme l’impression du rugissement du lion sur le voyageur qui s’avance dans le désert. À la suite d’un pareil contact, l’homme devient comme la bouche de Jéhova en Israël, toujours prête à transmettre de sa part l’instruction, la promesse ou la menace, selon le besoin du moment.

Le moyen ordinaire par lequel le prophète délivrait immédiatement son message, était celui de la parole vivante. C’est ainsi que Nathan et Gad apportent à David dans son cabinet royal les messages réjouissants ou menaçants dont Dieu les a chargés pour lui ; qu’Ésaïe transmet à Achaz, occupé aux travaux de défense de sa capitale, la révélation d’Emmanuel ; qu’Amos proclame à Béthel en face des adorateurs du veau d’or la destruction future de ce faux culte ; que Jérémie prêche dans le temple en présence du peuple et des anciens de Juda et lutte avec les faux prophètes ; qu’Ézéchiel raconte aux anciens rassemblés dans sa maison ce que l’Éternel lui a révélé.

Mais les paroles de Jéhova ont une portée générale et une valeur permanente. La proclamation orale ne suffit pas, et le prophète ne tarde pas à recourir à la rédaction écrite. Il est même probable que, dans quelques cas, celle-ci aura précédé la déclaration verbale (ainsi Ésaïe 8.1ss ; Habakuk 2.1ss).

Le prophète rédigeait sans doute à l’aide d’un disciple qui lui servait de secrétaire. Ainsi Jérémie, chapitre 36, dicte à Baruc, par l’ordre de Dieu, tous les discours qu’il avait prononcés depuis la treizième année de Josias, époque de sa vocation, jusqu’à la quatrième de Jéhojakim, durant un espace de près de quarante ans. Il est même probable que plusieurs prophètes n’ont rédigé les livres qu’ils nous ont transmis qu’à la fin de leur ministère, et comme un sommaire de toute leur prédication. C’est ce qui nous explique pourquoi chez plusieurs d’entre eux, tels que Joël, Osée, Michée, Sophonie, etc., les discours particuliers ne sont point distingués. Leurs livres paraissent avoir été écrits d’un seul jet. Il a pu arriver aussi qu’un prophète n’ait rédigé qu’un seul des nombreux discours qu’il a prononcés ; c’est peut-être le cas d’Abdias.

Dans les écrits de quelques prophètes, la critique moderne prétend discerner les traces de plusieurs publications et en quelque sorte de plusieurs éditions, retravaillées, accrues, et mises en circulation successivement par l’auteur lui-même. Cette supposition n’est pas sans vraisemblance à l’égard du livre de Jérémie, par exemple. Du reste la proclamation orale n’était nullement indispensable. Il est évident que certaines prophéties n’ont jamais été prononcées de vive voix et qu’elles ont été composées originairement par écrit et en vue de la lecture. Telle est la grande prophétie appelée vulgairement seconde partie d’Ésaïe (chapitres 40 à 66). On ne saurait se représenter une semblable composition énoncée sous forme de discours. Les écrits des grands prophètes demeuraient certainement entre les mains de leurs disciples. Bien des faits prouvent que les écrivains subséquents s’étaient nourris des livres de leurs devanciers. Joël cite textuellement Abdias ; il est lui-même cité par Amos, Amos l’est par Michée, Ésaïe l’est par Nahum. Ces citations ou imitations deviennent de plus en plus fréquentes chez quelques prophètes postérieurs, tels que Sophonie et Jérémie. C’est une forme par laquelle ces agents de Dieu attestent la continuité de la révélation et de l’œuvre à laquelle ils se sont consacrés. Ils ressemblent ainsi, comme dit Schmieder, à une chaîne parcourue par un même courant électrique qui en unit instantanément toutes les parties. Mais ce trait n’ôte rien à l’originalité des prophètes hébreux. Chacun d’eux n’en reste pas moins un être à part, communiquant directement avec son Dieu, élevé par ce contact au-dessus de toute dépendance humaine, capable par conséquent d’ajouter quelque chose à l’œuvre commune.

Aussi Moïse, lorsqu’il promettait à Israël cette apparition grandiose du prophétisme, qui devait tenir lieu au peuple de Dieu de toutes les formes de la divination païenne, avait-il parlé des porteurs de ce ministère comme d’un seul et même prophète collectif. Deutéronome 18.18 : « Je leur susciterai un prophète comme toi, d’entre leurs frères, et je mettrai mes paroles dans sa bouche ». Dans cette vaste intuition du prophète collectif, il embrassait même le prophète final et messianique, suprême anneau de la chaîne. C’est que le vrai, l’unique prophète, dans tous ces hommes de Dieu qui se succédaient à travers les siècles, était toujours l’Esprit du Christ qui les remplissait11.

La proclamation du message divin était fréquemment accompagnée de formes symboliques destinées, comme le geste qui accompagne la parole ordinaire, à rendre la communication du ciel plus sensible et plus impressive. Ainsi, lorsque Achija partage son vêtement neuf en douze pièces et en donne dix à Jéroboam pour figurer le schisme imminent, ou lorsque Jérémie s’en va dans la vallée de Hinnom, brise là un vase de potier ; et en disperse les fragments, pour mettre en quelque sorte sous les yeux du peuple la dispersion qui le menace12.

Cependant il est impossible de méconnaître que bien souvent ces actes racontés comme réels, ne se sont accomplis que dans l’âme du prophète. Le fait symbolique s’est présenté à son esprit d’une manière si vive et si plastique, qu’il lui attribue un caractère de réalité et qu’il en parle comme si le fait s’était passé dans le monde extérieur. Mais la nature même des choses exclut cette idée. Ainsi quand Jérémie est chargé de porter sur son cou un joug aux rois voisins pour leur annoncer leur prochain assujettissement au roi de Babylone, ou de faire boire une coupe remplie de la colère divine à tous les rois, y compris celui de Babylone, quand Ésaïe doit marcher nu-pieds pendant trois ans, pour figurer la déportation des prisonniers égyptiens par le roi d’Assyrie ; quand Ézéchiel doit manger le rouleau qui contient le message de l’Éternel ; quand il reçoit l’ordre de rester couché pendant 390 jours sur le côté gauche pour porter l’iniquité d’Israél et pendant 40 jours sur le côté droit pour porter celle de Juda, il est manifeste que tout cela n’a pu être accompli à la lettre13. C’est la forme symbolique sous laquelle la pensée divine a été présentée à l’œil du prophète. Il en est assurément de même des deux mariages d’Osée14.

À ces deux formes du symbolisme prophétique il faut en ajouter une troisième, qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer de la précédente. C’est celle de la simple métaphore, comme figure littéraire, comme procédé oratoire. On sait combien l’esprit des Orientaux se complaît dans les images. Souvent la métaphore s’agrandit chez eux jusqu’à devenir un tableau détaillé et complet. Cette forme abonde clans la parole prophétique.

Nous ne chercherons pas à faire ressortir ici les beautés, la magnificence du langage de ces hommes de Dieu. Nous nous bornerons à rappeler que, comme la Bible renferme en général, même au point de vue de la forme, les modèles de tous les genres de littérature, les écrits des prophètes présentent spécialement les chefs-d’œuvre du genre oratoire dans tous les temps.

IV. Contenu de la prophétie

La prophétie est l’interprète et l’auxiliaire de l’œuvre de Dieu pour le salut de l’humanité. Or cette œuvre a dans chaque moment un passé, un présent et un avenir. La prophétie contemple l’avenir, le plan de Dieu à réaliser, et, conformément à cette norme, elle dirige le présent et interprète le passé. Elle opère ainsi la synthèse des différents moments de l’œuvre divine.

Le passé, base générale du travail des prophètes, était la fondation de l’alliance de Dieu avec Israël par la délivrance d’Égypte et par le don de la loi. Nous avons déjà parlé de l’œuvre à la fois conservatrice et progressive des prophètes relativement à la loi. Sous les rois impies, ils avaient à lutter contre les éléments étrangers qui menaçaient le monothéisme israélite, soit par l’introduction des cultes idolâtres, soit par l’alliance avec les peuples étrangers. Sous les rois pieux, c’était la lutte opposée ; ils avaient à combattre le mérite attribué à l’observance extérieure, dénuée de la piété du cœur, les germes du pharisaïsme. Dans leur indignation contre le matérialisme religieux, les prophètes vont jusqu’à prononcer des paroles qui semblent nier l’existence de toute prescription légale, soit cérémonielle, soit morale. « Qui a requis de vous que vous fouliez aux pieds mes parvis ? » « Je n’ai nullement parlé à vos pères, au jour que je les fis sortir d’Égypte, d’holocaustes et de sacrifices15. »

Il est à peine concevable que l’on ait pu tirer de pareilles paroles une objection contre l’existence d’une loi écrite au moment où elles furent prononcées. Vaudrait-il la peine d’affirmer de la sorte un fait qui serait à la connaissance de chacun ? Ces paroles perdraient ainsi tout ce qu’elles ont de saillant et de paradoxal. Leur vrai sens est celui d’une, protestation indignée contre un accomplissement purement littéral des statuts légaux. Dieu n’a pas un seul instant voulu la lettre sans l’esprit. C’est ainsi que les prophètes interprètent le passé, la loi. C’est le côté progressiste de leur œuvre. Ils préparent le règne de l’Esprit sous celui de la lettre.

Mais l’objet le plus délicat et le plus périlleux de leur mission, c’est le présent. Nous jugeons avec calme le passé, nous contemplons avec une sorte de désintéressement l’avenir. Mais le présent nous enserre personnellement, nous absorbe dans ses émotions, nous accable sous ses détails, nous désoriente souvent par ses contradictions apparentes. Nous n’atteignons que difficilement le point de vue d’où nous pouvons le dominer. Telle était la position du prophète. Mêlé aux événements contemporains, souvent appelé à y jouer un rôle, sollicité par les sentiments multiples qui agitent l’homme engagé dans la lutte de tous les jours, le prophète avait besoin, pour conserver en de telles circonstances la sérénité d’esprit et la sûreté de coup d’œil de l’homme de Dieu, d’un recueillement profond d’une part, d’une lumière surnaturelle de l’autre. Ce n’était qu’autant qu’il était initié à la pensée de Dieu relativement au passé et à l’avenir de son œuvre, qu’il pouvait ressaisir au milieu du dédale des événements journaliers le fil conducteur des grandes lois du royaume de Dieu, rester bon patriote et pourtant étranger aux passions du moment, et, sans se laisser intimider par les chefs de parti ou égarer par les entraînements de la multitude, parler avec autorité à ses contemporains et reproduire au milieu d’eux dans sa parole les décrets de l’immuable sagesse et de l’incorruptible justice de Dieu. Le prophète était, comme le dit M. Reuss, l’homme de l’actualité ; mais il ne pouvait l’être en toute pureté, qu’à la condition de demeurer constamment l’homme de l’avenir, l’interprète d’une pensée éternelle.

De même que le pilote trouve dans le point de mire sur lequel son œil est fixé, la règle de chacune des impulsions qu’il imprime à son gouvernail, ainsi le prophète puise dans la contemplation de l’avenir du règne de Dieu les normes divines qu’il s’efforce d’appliquer à la vie du peuple. L’avenir est l’élément dans lequel l’esprit des prophètes se meut avec le plus de liberté et de satisfaction intime. C’est là que leur regard trouve le repos au milieu des agitations du présent. Seulement ils ont, à l’égard de l’avenir aussi, un écueil à éviter. Israël est le peuple de la promesse, par conséquent de l’avenir. Mais combien n’était-il pas facile de laisser cette grande espérance se particulariser au service de l’égoïsme national ? Un légitime sentiment d’orgueil ne pouvait-il pas remplir le cœur de tout Israélite, en contemplant la mission unique de son peuple ? Ne pouvait-il pas ainsi se laisser entraîner, par une pente naturelle, à faire prédominer l’espérance nationale sur le salut humanitaire ? Encore ici il fallait donc une action constante du Dieu qui avait donné les promesses, pour en maintenir, dans la conscience israélite et prophétique, toute l’ampleur, et les empêcher de se rétrécir sous la pression d’un orgueilleux particularisme. C’est la tâche que les prophètes se sont fidèlement efforcés de remplir. Maintenir le cœur d’Israël ouvert à la grande espérance du salut de l’humanité, faire de ce peuple le lien entre Dieu et les autres nations, l’intermédiaire de l’alliance des peuples, tel a été le but constant de leur travail au sein de la théocratie. Et s’ils n’ont pas réussi auprès de la masse charnelle du peuple, ils ont néanmoins conservé une élite qui est restée fidèle à l’esprit des promesses et capable d’entrer dans le plan de Dieu au moment de son accomplissement final.

L’avenir qui s’offre sans cesse à l’œil interne des prophètes, se nomme, dans leurs discours la fin des jours. Ce terme désigne, comme dit Schmieder, les derniers actes de l’histoire terrestre de l’humanité. Dans ce drame suprême, les prophètes discernent ordinairement trois scènes :

  1. Le jugement sévère que doit subir Israël par la main des païens. La portion charnelle d’Israël doit être retranchée ; un faible reste seulement demeurera, purifié par ce terrible châtiment.
  2. Le jugement qui frappera les païens par la main de Dieu même. Ici encore la masse périt ; un reste seul se convertit à Dieu et participe au salut.
  3. L’établissement du règne de Dieu, au moyen de ces restes de l’humanité, juive et païenne, purifiée. L’effusion universelle de l’Esprit saint fait de toutes les familles de l’humanité un seul peuple de Dieu sous le sceptre du roi que Dieu lui donne comme son représentant au milieu d’elle.

Dans ce programme général de l’avenir prophétique sont esquissées nettement les grandes lois de l’histoire de l’humanité, les règles fondamentales de son développement. Ce sont là les principes de toute vraie philosophie de l’histoire.

Mais ces vues ne sont pas exprimées d’une manière spéculative et abstraite ; elles sont constamment rattachées, comme promesses ou comme menaces, au jugement du moment présent et appliquées à ses besoins. Ce sont les stimulants par lesquels le prophète veut agir sur la marche de l’Israël actuel et sur les événements du jour.

Aussi cette perspective de la fin des temps n’est-elle point rejetée par les prophètes dans un lointain indéfini. Ce tableau plane toujours à l’issue de la période même dans laquelle vit le prophète. C’est une nuée mystérieuse remplie de pluies bienfaisantes ou de foudres dévastatrices, suspendue sur la tête des vivants ; c’est le décret infaillible, du sein duquel descendra, dans le cours de la période présente, tout ce que les contemporains mériteront d’en recevoir, soit en bien, soit en mal. Ce qui ne se réalisera pas présentement, reste réservé aux générations suivantes, jusqu’à ce que toute la richesse des bénédictions promises et des jugements annoncés par la prophétie ait trouvé dans l’état moral de l’humanité les conditions de son entière réalisation, et que le dessein de Dieu soit épuisé.

Quant au prophète, son regard ne s’arrête pas aux stations intermédiaires ; il se porte directement du présent sur la fin. Comme on a dit du chrétien : qu’il n’y a que deux temps pour lui, aujourd’hui et l’éternité, ainsi dans l’intuition prophétique il n’y a que deux époques, le présent et la fin. Le présent dit Riehm, « est contemplé par le prophète à la lumière de la fin, et la splendeur de la fin lui apparaît à travers le prisme des circonstances présentes ». Ce procédé est en rapport avec la tendance pratique de la prophétie. Le but de la révélation prophétique n’est pas de satisfaire la curiosité humaine relativement à l’avenir ; c’est de remuer la conscience au sujet des péchés actuels, et de convertir les cœurs au Dieu saint et toujours vivant. Et de même que l’Église et chaque chrétien ne parviennent à se juger parfaitement eux-mêmes qu’en se mettant directement en face du Seigneur qui revient, sans que cela préjuge en rien le moment où il doit arriver, ainsi la parole des prophètes n’apprécie le monde contemporain qu’en établissant un lien immédiat entre son état moral actuel et le jugement qui doit l’atteindre à la fin des jours. Il sera donc bien difficile, pour ne pas dire impossible, de chercher dans les prophéties les matériaux d’une histoire et surtout d’une chronologie de l’avenir. La prophétie est autre chose et beaucoup mieux qu’une histoire anticipée. C’est la pensée de Dieu relativement à la fin des choses tombant comme un rayon révélateur sur l’état présent du monde et de chaque individu. Car chaque moment dans la vie humaine n’est appréciable que par son rapport avec la fin.

On peut comprendre, par tout ce qui précède, le rôle important qui revient à la liberté humaine dans l’accomplissement des prophéties. La sagesse divine, d’après la connaissance qu’elle a de la nature déchue de l’homme et de ses relations avec la sainteté de Dieu, a fixé le but et tracé la marche générale qui doit y conduire. Néanmoins l’action de la liberté humaine demeure intacte ; la conduite morale de l’homme est toujours la condition de la réalisation du tableau prophétique, soit en bien, soit en mal. Cette idée est exprimée dans la prophétie par une notion fréquemment employée, celle du repentir de Dieu. L’application d’une menace peut être retirée, comme pour Ninive après la prédication de Jonas, lorsque l’homme change de sentiment vis-à-vis de Dieu. Il est dit alors que Dieu se repent16. L’immutabilité de Dieu exige elle-même que, lorsque l’homme change vis-à-vis de Dieu, Dieu change aussi vis-à-vis de l’homme. Il en est de même à l’égard des promesses. Une génération, un individu se rendent indignes d’une bénédiction qui leur avait été annoncée. Elle est retirée, mais ce qui est différé n’est pas perdu. La nuée de la promesse ne se dissipe pas, ne s’évanouit pas ; c’est la parole de Jéhova, elle distillera sa rosée quand viendra le moment où l’homme sera digne de la recevoir.

Notons encore une importante particularité de la prophétie. Les prophètes aiment à appliquer à l’avenir certaines expressions et certaines images empruntées aux événements passés. C’est ainsi que, pour annoncer un massacre futur des habitants de la Judée, ils disent : « On entendra Rachel pleurer ses enfants qui ne sont plus ». Ou bien, pour annoncer une nouvelle captivité, ils emploieront l’image d’un enlèvement du peuple dans la plaine de Sinear, image qui désigne simplement un châtiment qui sera dans l’avenir ce qu’a été la captivité de Babylone dans le passé17. Ce procédé d’adaptation, du passé à l’avenir, très fréquent chez eux, n’est pas une simple forme oratoire ou un rapprochement ingénieux. C’est la constatation d’un rythme dans le gouvernement divin, l’expression d’une loi historique. La relation toujours la même entre le cœur de l’homme et l’essence de Dieu amène d’époque en époque les mêmes conflits et les mêmes pardons.

La portion la plus importante pour nous du contenu de la prophétie est celle qui se rapporte à l’avenir messianique.

Cet avenir, qui doit succéder aux jugements des derniers temps et couronner les luttes de l’économie actuelle, est un règne de sainteté et de paix. Son établissement est dû à l’intervention de deux agents divins : le Saint-Esprit et le Messie.

Semblable à une pluie bienfaisante tombant sur le sol que le jugement a labouré, l’Esprit divin fera germer ici-bas la justice. Ce don divin ne sera plus borné à quelques hommes choisis, tels que les prophètes ; mais le soupir du plus grand d’entre ceux-ci : « Oh ! que tout le peuple fût prophète ! »18 s’accomplira. Les personnes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, auront part au bienfait divin. Encore ici le tableau prophétique a recours au procédé d’adaptation dont nous parlions tout à l’heure, et dépeint l’action de l’Esprit sous des couleurs empruntées aux formes anciennes. « Les vieillards auront des songes et les jeunes gens des visions… Le peuple entier sera enseigné de Dieu, de telle sorte que nul n’enseignera plus son prochain.19 » Tel est l’état de choses parfaitement saint et glorieux auquel Dieu conduit l’avenir de l’humanité.

Sur ce fond lumineux se détache, dans le tableau des derniers jours, une figure, peu distincte d’abord, mais dont les contours vont se dessinant toujours plus nettement, jusqu’à ce qu’elle arrive enfin à présenter une image si précise et si complète, qu’il suffira de rencontrer sur la route de l’histoire la personnalité qu’elle désigne, pour dire : C’est lui ! Cette image est la grande figure du Messie, le Rédempteur de l’humanité, le roi d’Israël, le serviteur de l’Éternel, l’homme de douleur. L’intuition de ce personnage est le point culminant du contenu de la prophétie.

L’Esprit de Dieu n’a évoqué que graduellement cette figure à la fois royale et humble, lumineuse et sans éclat, sévère et tendre, redoutable comme la face de Dieu, douce et sympathique comme le visage d’un fils de l’homme. Presque tous les peintres inspirés ont collaboré à ce divin portrait et ajouté quelque trait à l’ébauche primitive. À mesure que les circonstances de l’époque au sein de laquelle ils vivaient, provoquaient et réclamaient une révélation nouvelle, l’Esprit de Dieu complétait dans l’esprit des prophètes la figure de celui qui devait un jour régénérer l’humanité.

Rien de plus vague et de plus indéterminé que le commencement de cette éclosion graduelle. C’est la promesse, faite au pied de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, d’une victoire finale de l’humanité sur son ennemi, son vainqueur actuel. L’instrument de cette victoire n’est pas personnellement désigné ; il reste enveloppé dans cette notion générale de la victoire humanitaire20.

Vingt siècles plus tard, la promesse reparaît sous une forme qui, quoique générale encore est déjà plus circonscrite : la postérité d’Abraham21 sera l’instrument dont Dieu se servira pour répandre la bénédiction divine sur toutes les familles de la terre. Le personnage par le moyen duquel Israël remplira cette mission humanitaire n’est point expressément désigné ; il reste impliqué dans cette notion de la postérité patriarcale.

Cinq siècles s’écoulent ; le premier des prophètes proprement dits, Moïse, quelques moments avant sa mort, voulant mettre en garde Israël contre le recours aux divinations païennes, lui promet un prophète tel que lui-même22, qui communiquera en chaque temps au peuple la lumière divine dont le besoin se fera sentir. Le Messie, le prophète par excellence, est compris sans doute dans ce prophète collectif promis à Israël ; mais encore ici la promesse messianique n’est qu’implicite.

Plusieurs siècles passent de nouveau : le roi selon le cœur de Dieu se propose de bâtir une demeure au Dieu qui l’a élevé sur Israël. Quoique Nathan, le prophète, avant de consulter Dieu, eût accepté en son nom cet hommage, Dieu le refuse ; mais il tient compte à David de cette pensée et il lui promet de lui bâtir une maison indestructible ; il assure à la postérité de David la royauté théocratique à toujours23. Le fils de David proprement dit n’est pas encore personnellement désigné ; mais son image flotte en quelque sorte dans un glorieux lointain, comme dernier terme de la série des successeurs du grand roi. Cela est si vrai, que David lui-même, dans une de ses révélations prophétiques, ne tarde pas à contempler enfin son royal descendant comme une personnalité déterminée. Il le voit assis, non sur un trône semblable au sien, mais sur celui de Jéhova lui-même, et associé par là au gouvernement divin. Il le voit réalisant, encore à un autre égard, un idéal plus élevé que celui qu’il a pu réaliser lui-même. La constitution théocratique avait élevé un mur de séparation infranchissable entre la royauté et le sacerdoce. David ressentait sans doute douloureusement cette limite imposée à son amour et à son dévouement pour son peuple. Il la voit levée enfin pour son royal descendant. Celui-ci lui apparaît comme sacrificateur en même temps que roi, conformément au type du vieux roi de Salem, Melchisédec. Ce roi-sacrificateur étend son règne sur la terre entière ; il brise ici-bas la puissance du mal ; il écrase la tête de l’ennemi de Dieu et de l’humanité24. Dans un autre psaume, qui est probablement du même auteur, ce même personnage lui apparaît de nouveau assis à côté de Jéhova. Dieu l’a divinement engendré au moment de son élévation glorieuse sur le trône divin. L’installation qu’il a reçue en Sion, comme roi théocratique, le constitue souverain de l’univers entier25.

Ainsi se dessinent aux yeux de David les traits d’un roi futur, son descendant, qui surpassera tout ce qu’il a été lui-même, tout ce que pouvait être légalement un roi théocratique. Et voilà enfin fixée l’image personnelle de Celui qui réalisera les promesses générales des temps anciens.

Trois siècles s’écoulent ; il semble que le fil de la révélation messianique se rompe momentanément durant le règne de Salomon, dont l’éclat éblouissant captive les regards et les empêche de se porter sur l’avenir. Mais des temps mauvais arrivent ; l’existence même de la théocratie semble menacée. Michée et Ésaïe sont alors appelés à compléter l’image du fils de David.

La masse d’Israël se montre de plus en plus incapable de réaliser le règne de Dieu sur la terre. L’intuition du saint reste qui accomplira cette tâche et du jugement terrible d’où il sortira, domine la pensée prophétique. La postérité de David, la famille royale, ne se montre pas moins impropre à ce grand avenir que la masse du peuple ; l’espérance prophétique se détourne de l’une en même temps que de l’autre ; elle arrête son regard sur un rejeton du tronc mutilé d’Isaï (le père de David). Ce descendant relève le trône et fait régner la justice et avec elle la paix sur la terre. Mais sa provenance de David n’est plus que partielle. En lui vient s’ajouter à la filiation davidique maternelle une origine supérieure. Il se nomme Dieu fort ; c’est un être dont les issues appartiennent à l’ordre éternel. C’est Emmanuel, Dieu avec nous26.

La sanctification parfaite du peuple messianique et l’établissement du règne de Dieu par son moyen ne pouvaient se réaliser qu’à une condition, celle d’une double et mortelle souffrance : pour le peuple, le jugement ; pour le Messie, le sacrifice expiatoire. Ce sont là les deux intuitions dans lesquelles se meut particulièrement l’esprit prophétique dans l’incomparable prophétie appelée la seconde partie d’Ésaïe et qui a pour centre la personne du serviteur de Jéhova. Que l’on attribue ce vaste tableau à Ésaïe lui-même ou qu’on en place la composition au temps de la captivité, assez peu importe, en réalité. Car, dans le premier cas, il faut admettre que l’esprit du prophète a été transporté par avance au milieu de cette terrible catastrophe. L’être qui a vécu lui-même sans péché se voit appelé par Jéhova à porter le péché du peuple et du monde, et à justifier par son sang une grande multitude de rois et de peuples païens. Déjà David avait contemplé le Messie comme sacrificateur en même temps que comme roi. Ésaïe le décrit ici comme victime volontaire. Ce sacrifice suprême signale celui qui l’accomplit comme le parfait serviteur de l’Éternel27.

Les siècles qui suivent jusqu’à la captivité n’ajoutent aucun trait essentiel au tableau de la personne du Messie. Mais une fois le jugement de l’exil consommé, cette grande figure se redresse et s’élève, dans l’intuition des derniers prophètes, à toute sa hauteur. Le côté divin du personnage messianique ressort toujours plus nettement. C’est un fils de l’homme, mais qui paraît sur les nuées28. C’est un roi de paix, sauveur et humble, mais réunissant sur sa tête la couronne royale à la tiare sacerdotale ; et ce prêtre-roi, c’est en même temps Jéhova lui-même, que son peuple a transpercé et sur le meurtre duquel il finit par mener deuil, comme on mené deuil sur la mort d’un fils unique29. C’est Jéhova dans la personne mystérieuse de l’Ange de l’alliance, du Seigneur qu’Israël réclame, avec impatience, du Dieu qu’il adore dans le temple de Jérusalem. C’est ce Dieu, dès longtemps manifesté, qui vient enfin répondre au soupir de son peuple30. Ces dernières intuitions, que nous trouvons chez Daniel, Zacharie et Malachie, constituent le faîte de la révélation messianique et la synthèse de tous les traits disséminés dans les représentations antérieures. Il ne reste rien à y ajouter ; que l’accomplissement.

On peut s’adresser encore une question au milieu de toutes ces perspectives qui se rapportent au développement du règne de Dieu sur la terre jusqu’à la fin de jours. Que devient la notion du sort de l’individu après la mort ? Le dogme de l’immortalité personnelle apparaît-il chez les prophètes ? À peine peut-on répondre affirmativement à cette question. Il est bien parlé sans doute d’une résurrection des Israélites massacrés par les païens et dont la terre a bu le sang. Ils sont rappelés à la vie pour participer au règne du Messie31. Mais ce ne sont là que des déclarations isolées. Il faut nous rappeler ici que les révélations prophétiques ne sont point un enseignement de vérités religieuses, mais l’appui d’une œuvre historique, qui se développe sur cette terre. Le regard du prophète reste fixé sur cette œuvre de la rédemption, qui est pour lui comme la grande route de l’histoire ; il ne s’en écarte ni à droite ni à gauche, pour suivre les sentiers particuliers que peuvent prendre les individus humains en quittant cette vie, seul théâtre du travail divin.

V. Histoire de la prophétie

Le don prophétique est, comme nous l’avons dit, une faculté innée à l’humanité ; l’intelligence humaine n’est pas seulement le miroir des choses terrestres ; elle est apte aussi à refléter les choses divines, lorsque Dieu les lui révèle. Aussi, même avant Moïse, avec lequel apparaît la charge prophétique, trouvons-nous dans l’histoire sainte une série de phénomènes qui révèlent l’activité du don prophétique.

Le père de Noé voit d’avance la terre soulagée du fardeau de crimes et de forfaits qui l’oppresse, par l’apparition de son enfant. Noé contemple Sem, l’adorateur de l’Éternel, recevant dans ses tentes Japhet qui vient y chercher l’hospitalité spirituelle32.

Abraham reçoit de ses contemporains le titre de prophète ; ils sentent bien que cet homme entretient avec la divinité une relation à laquelle eux-mêmes sont étrangers et dans laquelle il puise une sagesse supérieure.

À l’heure de la mort, le don s’éveille chez les autres patriarches, et chacun deux transmet à l’un de ses fils la promesse du salut qui est encore à ce moment-là semblable à un héritage de famille33.

À ces antiques manifestations succède la première période du prophétisme proprement dit, qui s’ouvre avec Moïse et aboutit à Samuel.

Moïse est le prophète qui réunit au plus haut degré les dons de parole et d’action ; on trouve chez lui l’éloquence d’un Ésaïe avec la puissante activité d’un Élie. Nul ne l’a surpassé ni même égalé jusqu’à Jésus-Christ ; il s’entretient avec Dieu directement, sans intermédiaire de songe ou de vision, comme un ami avec son ami. Il prédit le prophétisme lui-même ; car c’est lui qui a annoncé au peuple la série des prophètes qui le suivront jusqu’au Messie. La sœur de Moïse participe au don de son frère et porte le nom de prophétesse. Dans une occasion solennelle, les soixante et dix anciens qui assistent Moïse sont également remplis de l’esprit prophétique. Balaam représente, en contraste avec Moïse, la divination qui n’est qu’un métier. Comme Moïse est le père du vrai prophétisme, Balaam est en quelque sorte celui des faux prophètes qui abonderont plus tard34.

Dans les temps qui suivent celui de Moïse, comme il arrive presque toujours après les grands soulèvements spirituels, un affaissement se fait sentir. « La parole de l’Éternel, est-il dit au commencement du premier livre de Samuel, en parlant de l’époque des Juges, était rare dans ce temps ». L’histoire ne mentionne que quelques hommes de Dieu isolés et une femme, Débora, puissante également en œuvres et en paroles, et qui porte le titre de prophétesse35. Le déclin du don prophétique ne portait pas seulement sur la quantité, mais aussi sur la qualité. On allait consulter le voyant pour retrouver les objets perdus. Le prophète était presque devenu un devin. Samuel lui-même, au commencement de sa carrière, dut s’accommoder à cette forme inférieure du prophétisme. Du reste, on s’attachait aux songes et aux présages ; on consultait les morts ; et le nom qui caractérise le prophétisme par son côté le plus élevé, celui de nabi, était tombé en désuétude et avait fait place à celui de roé, dont le sens peut être ramené plus facilement à celui de devin36. Cette chute correspondait à celle de tout l’état religieux de l’époque. Moïse, par sa personnalité puissante, avait élevé l’œuvre de Dieu à une hauteur à laquelle il était impossible qu’elle se soutînt après son départ ; car ce niveau était, si l’on peut ainsi dire, artificiel, et ne correspondait pas à l’état réel de la nation. L’histoire de l’Église chrétienne nous montre un phénomène analogue, après le temps exceptionnel de Jésus et des apôtres. Ce ne fut que quinze siècles plus tard que recommença le mouvement ascensionnel qui doit finir par ramener l’Église à la hauteur primitivement atteinte. L’affaissement d’Israël au temps des Juges a duré bien moins longtemps. Au bout de trois à quatre siècles, la réaction se produisit. Elle se fit sentir simultanément dans le réveil de l’esprit national et dans celui du souffle prophétique.

Ici commence la seconde période du prophétisme, qui va depuis Samuel jusqu’au commencement de notre littérature prophétique.

Samuel restaura le prophétisme de deux manières : d’abord en le relevant, dans son propre ministère, à sa dignité première ; puis en instituant des communautés prophétiques propres à devenir une pépinière d’hommes de Dieu en Israël. Après avoir été, comme jeune garçon, auprès du grand sacrificateur Éli l’organe du décret divin, il devient à la fois l’interprète et l’exécuteur des desseins de Dieu envers son peuple.

Le joug des Philistins est brisé ; la royauté est instituée, et le peuple auquel l’unité spirituelle en Jéhova fait défaut, trouve du moins dans la souveraineté théocratique un centre visible. Samuel se retire de la vie publique, mais il consacre ses dernières années à former autour de lui des associations de jeunes Israélites au sein desquelles il s’efforce d’éveiller et de cultiver le don prophétique. Ces jeunes gens, qu’on appelle dès ce moment les fils (disciples) des prophètes et qui donnent le nom de père au prophète supérieur qui les préside, vivent en commun dans des maisons qu’ils se construisent eux-mêmes ; ils en ont deux, à Rama et à Béthel, sur le plateau d’Éphraïm ; deux dans la plaine du Jourdain, à Guilgal et à Jéricho. Ils cultivent la poésie religieuse, la musique instrumentale, le chant sacré ; ils étudient les hauts faits de l’Éternel dans l’histoire de leur peuple ; ils se répandent dans tout le pays, tenant des réunions religieuses aux jours de sabbat et de nouvelle lune. Les fidèles des localités environnantes s’y rendent avec empressement ; le peuple les honore et les assiste de dons volontaires. C’est dans ces communautés que furent probablement rédigés, puis conservés, les premiers écrits sur le fondement desquels furent composés nos livres historiques de l’Ancien Testament. Sans doute nous constatons dans les premiers temps de ce puissant réveil de l’esprit prophétique des caractères de véhémence tout à fait extraordinaires. Mais c’est un phénomène bien connu que toute force nouvelle, à sa première explosion, fait irruption dans l’histoire avec une certaine violence et se manifeste par des symptômes exceptionnels qui ne persistent pas longtemps sous cette forme. Il en a été ainsi du prophétisme cultivé dans les écoles de prophètes que nous venons de décrire37.

En traçant ce tableau, nous avons sans doute dépassé sur bien des points les limites du temps de Samuel. Il n’en est pas moins vrai que c’est à cet homme de Dieu qu’Israël fut redevable de cette importante institution. Aussi la tradition juive datait-elle de Samuel la série des prophètes israélites38.

L’influence de ces communautés fut considérable, surtout dans le royaume de Samarie, où il s’agissait de maintenir le culte de Jéhova, en opposition aux cultes étrangers importés par les rois et célébrés sans scrupule par un sacerdoce extra-lévitique. Élie et Élisée furent les deux représentants les plus éminents du prophétisme dans ces conjonctures difficiles. En Juda, Nathan et Gad jouèrent après Samuel un rôle souvent décisif sous le gouvernement de David. La promesse de Nathan à David, rapportée 1 Samuel 7, rattacha définitivement à la postérité de ce roi l’espérance messianique et resta la base du développement de la prophétie en Juda. Les psaumes messianiques 2 et 110 furent les premiers échos de ce message divin. La poésie psalmique dès le temps de David est toute pleine de tableaux prophétiques annonçant la conversion des païens à Jéhova et leur régénération à Jérusalem39.

Nous arrivons ainsi à la troisième période, celle de l’apparition et du développement de notre littérature prophétique. Cinq siècles environ séparent Abdias et Joël, les auteurs de nos écrits prophétiques probablement les plus anciens, de Malachie, avec lequel s’est éteint le flambeau de la prophétie, quatre siècles avant Jésus-Christ.

Le premier groupe de nos écrits prophétiques est formé par ceux d’entre eux chez lesquels on ne trouve encore aucune allusion précise et certaine aux redoutables conquérants qui vont bientôt arriver des bords du Tigre et de l’Euphrate. Ce sont : Abdias, le plus élémentaire de tous les prophètes, vers 880 avant Jésus-Christ, qui menace surtout Édom, le parent perfide d’Israël, pour s’être associé au pillage de Jérusalem, lorsqu’un ennemi étranger saccageait cette ville ; Joël, qui, vingt à trente ans plus tard, à l’occasion d’une invasion de sauterelles, esquisse le programme complet de l’avenir prophétique ; Amos, le berger de Tékoa, qui un demi-siècle après Joël, est envoyé dans le royaume des dix tribus pour flétrir le culte du veau d’or célébré à Béthel ; Jonas, la personnification du peuple de col roide et du hautain particularisme israélite qui devient involontairement le prédicateur de l’universelle miséricorde de Jéhova ; Osée enfin, à la fois le plus sévère et le plus tendre des prophètes, l’Ésaïe du royaume du nord, chargé d’annoncer à ses concitoyens la destruction prochaine de leur pays.

Le groupe suivant comprend trois prophètes : Michée, Ésaïe, Nahum. Le moment est venu où la puissance assyrienne déborde en Palestine ; le roi de Juda lui-même, Achaz, en a provoqué l’invasion. Damas tombe ; la ruine de Samarie suit bientôt ; que va devenir Jérusalem ?…Cette question redoutable forme le centre de l’horizon actuel de la prophétie. Jérusalem pourrait encore être sauvée par la justice, mais sa corruption la conduit infailliblement à sa perte. Jérusalem, sera réduite en monceaux et ses habitants s’en iront jusqu’à Babylone (Michée). Une première fois, il est vrai, Jérusalem sera délivrée ; mais le jour viendra où ses trésors seront emportés, comme butin, à Babylone (Ésaïe). L’Assyrie, après avoir foulé tous les peuples, tombera à son tour (Nahum)40.

Un troisième groupe, formé de quatre prophètes, Habakuk, Sophonie, Jéremie, et Ézéchiel, a la triste mission d’assister aux dernières convulsions du petit État de Juda et de célébrer en quelque sorte ses funérailles. C’est l’époque de l’arrivée des Babyloniens sur la scène de l’histoire israélite. Habakuk décrit prophétiquement le châtiment de Jérusalem, mais aussi celui de ces conquérants étrangers qui suivra de près. Sophonie contemple le jour de l’Éternel comme l’époque d’un jugement universel qui, après avoir frappé Juda, enveloppera la terre entière. Jérémie montre dans la ruine imminente de la ville sainte et du temple l’accomplissement de la justice de Dieu ; puis il promet le retour de la captivité au bout de soixante et dix ans ; et il voit alors surgir, à la place de l’alliance de Sinaï, fondée sur la loi et maintenant rompue, une alliance nouvelle, fondée sur le pardon des péchés et sur l’action du Saint-Esprit dans les cœurs. C’est peut-être la plus lumineuse sommité qu’ait atteinte l’inspiration prophétique. Ézéchiel est en Babylonie le pasteur de la portion d’Israël transportée déjà avant la ruine de Jérusalem ; il est aussi celui des restes du peuple qui bientôt viennent rejoindre les premiers déportés, d’abord il justifie le châtiment ; puis il décrit la puissance de Jéhova capable de vivifier même les ossements desséchés, c’est-à-dire de retirer Israël de sa ruine actuelle et de le ramener à la plénitude de la vie nationale et spirituelle.

Le quatrième groupe se rattache à l’événement qui est à la fois le plus grand et le plus incontestable miracle de l’histoire juive, le retour de la captivité. Il comprend quatre prophètes : Daniel, Aggée, Zacharie et Malachie. Vers la fin des soixante et dix années de captivité, Daniel voit s’ouvrir pour Israël restauré une nouvelle période, septuple de la précédente. Les sept fois soixante et dix années qu’elle comprend, sont divisées en trois cycles : le premier est celui du relèvement, et dure un demi-siècle ; le second, beaucoup plus long, est celui de la conservation d’Israël restauré ; le troisième, court et décisif, est comparé à une seule semaine : c’est l’époque de la consommation, c’est l’avènement et l’œuvre du Messie. Aggée et Zacharie assistent Zorobabel et Jéhosua (les représentants de la royauté et du sacerdoce) dans l’œuvre de la restauration nationale. Le premier stimule le peuple à la construction du temple ; le second l’encourage à l’accomplissement de sa mission humanitaire par les plus saintes promesses et les plus glorieuses perspectives. Au temps de Malachie, nous voyons poindre chez le peuple l’esprit de propre justice qui tournera bientôt à la haine des païens et au mécontentement des voies de Dieu, le commencement du pharisaïsme. Malachie menace cet Israël de col roide, s’il ne s’humilie, d’un nouveau jugement qui le frappera d’extermination à la façon de l’interdit, précisément le même châtiment que Dieu a fait subir autrefois par la main d’Israël aux Cananéens.

Chose étonnante, cette menace est le dernier mot de l’Ancien Testament. Dès ce moment, la voix prophétique se tait. Israël a reçu c’est maintenant pour lui le temps de donner. Il a eu ses prophètes c’est à lui de devenir le prophète des peuples, la lumière du monde. Il va lui être redemandé dans la proportion de ce qui lui a été confié. Le salut a été préparé dans son sein. Quatre cents ans lui sont accordés pour travailler à y préparer le monde. Ainsi s’explique cette lacune de quatre siècles dans les communications de Dieu à la terre.

L’homme a prétendu remplir ce vide laissé par la sagesse de Dieu dans le développement de ses révélations. Dans l’intervalle qui sépare la fin du prophétisme israélite du moment de l’accomplissement, surgit un genre nouveau d’oracles, qui ont reçu le nom particulier d’apocalypses. Ce sont des tableaux fortement colorés des phases dernières de l’économie actuelle et de la transition à l’ère future. Ces écrits sont purement fantastiques. Pour les accréditer, leurs auteurs les attribuent à quelques personnages éminents des temps anciens, tels que Hénoc, Noé, Esdras, etc. Mais on ne saurait accorder la moindre créance à ces assertions hardies. L’intention est pieuse, sans doute ; il s’agit de soutenir le courage du peuple dans les temps de persécution et de réveiller chez lui l’attente de la grande délivrance et l’espoir de jours meilleurs. Mais deux choses distinguent ces écrits apocryphes de nos livres prophétiques : l’absence de cette sainte sobriété qui est le caractère de toute inspiration authentique, et l’exaltation d’un patriotisme faussé, qui fait tomber tout le poids de la colère de Dieu sur les peuples païens et réserve à Israël toutes les gloires de l’avenir. On sent immédiatement, en lisant ces écrits, que l’ambition nationale ne trouve plus son contrepoids dans la prépondérance que l’Esprit divin donne constamment à la sainteté sur la gloire. C’est Jéhova qui est là pour Israël, et non plus Israël pour Jéhova.

De Samuel jusqu’à Malachie, les prophètes véritables n’ont eu en vue que la gloire de Dieu, jamais celle du peuple, à l’exclusion de celle de Dieu. Aucun pouvoir humain, aucun attrait, aucune crainte ne les a fait dévier de cette droite ligne. Aux rois despotes ou idolâtres ils ont rappelé le maître invisible envers lequel ils étaient responsables de leur pouvoir. Ils ont également parlé au peuple sans timidité et sans flatterie. Ils se sont efforcés de ramener la vie dans le sacerdoce qui dégénérait en métier. Envers tous ils ont été comme les légats du chef invisible d’Israël, les organes incorruptibles de ses décrets de justice et de miséricorde. C’est avec raison qu’on les a appelés « les plus grands caractères de l’humanité » (Schmieder). S’ils n’étaient quelque chose de mieux que des sages on pourrait même les saluer comme les sages les plus éminents de l’antiquité. Car dans leurs écrits sont renfermés les principes de toute vraie conception de l’histoire, non qu’ils les aient découverts par le travail de la réflexion, leurs affirmations sont trop simples, trop immédiates, trop peu raisonnées, ce sont bien plutôt les rayons spontanés d’une lumière interne dont les remplissait l’Esprit de Dieu et qui illuminait pour eux le passé, le présent et l’avenir d’Israël et de l’humanité.

VI. Explications du prophétisme

Bien des hommes cherchent aujourd’hui à expliquer cette apparition du prophétisme israélite par des moyens purement naturels. La conscience nous dit que la justice est le bien et doit par conséquent finir par triompher, que l’injustice est le mal et court à sa ruine. Les prophètes n’auraient fait autre chose qu’appliquer cette double maxime aux événements dont ils étaient les témoins. « Il leur a suffi, dit-on, pour prononcer leurs oracles, d’écouter fidèlement la voix de leur conscience ».

D’autres esprits, plus sérieux, comprennent l’impossibilité de réduire à des proportions si mesquines le contenu des révélations prophétiques ; ils reconnaissent la grande œuvre d’éducation et de délivrance morale que Dieu accomplit dans l’histoire et font rentrer la prophétie dans cette œuvre. Elle est produite par une action interne de l’Être suprême sur la conscience humaine, que Dieu conduit à rejeter graduellement tous les faux cultes, pour y substituer la vraie religion, base du bonheur de l’humanité. La révélation divine ainsi comprise n’est que la fécondation de tous les germes de vérité déposés primitivement dans le cœur de l’homme, au moment de sa création. Pour opérer ce travail, Dieu se sert à la fois de l’individualité des prophètes et des circonstances de leur époque. Mais ce ne sont que des vérités religieuses qu’il amène ainsi à la conscience du prophète. Jamais un événement extérieur quelconque n’a pu être révélé par l’Esprit de Dieu à l’esprit de l’homme. Ainsi parle une école fort répandue.

Mais, à supposer que l’on pût expliquer par ce moyen l’origine du monothéisme israélite, peut-on rendre compte par ce même moyen de cette conscience indestructible que porte Israël de sa mission, comme peuple du salut, en faveur du monde entier ? Peut-on comprendre des prophéties comme celle du fils de David destiné à réunir tous les peuples sous le sceptre divin, celle du roi sacrificateur s’immolant pour le péché du monde, puis, à la suite de cette mort expiatoire, prolongeant ses jours et accomplissant le travail de l’Éternel ? Peut-on concevoir l’annonce de la foi des païens et celle de l’incrédulité d’Israël à l’égard du Messie israélite ? Celle d’une nouvelle captivité babylonienne et même d’une seconde destruction de Jérusalem à la façon de l’interdit ? etc., etc. La sagacité humaine est grande ; mais jamais, aux yeux de l’esprit non prévenu elle ne suffira pour rendre compte de ces vues d’avenir, qui sont et restent des traces évidentes de la prescience divine.

Et pourquoi ces communications de l’Esprit de Dieu à l’esprit de l’homme seraient-elles une impossibilité ? L’esprit de l’homme communique avec l’esprit de l’homme, malgré la double muraille des deux corps qui les séparent ; et l’Esprit de Dieu ne communiquerait pas avec l’esprit de l’homme, qui est son souffle, et dont rien ne le sépare plus, une fois que l’homme est uni et consacré à Dieu ? Un philosophe, Lasaulx, croyait ne pouvoir expliquer certains pressentiments prophétiques qu’en admettant « que parfois l’âme humaine se replonge dans le sentiment universel et qu’elle devient par là l’organe de l’âme du monde. Alors se forme dans ses profondeurs le pressentiment de ce qui doit conduire l’homme à son éternelle destination ». Mais que savons-nous donc de l’âme du monde ? N’est-il pas plus simple de substituer à cet être fantastique l’Esprit divin, ce souffle créateur dont est émané notre esprit, et d’appliquer simplement au contact de notre âme avec lui ce que le penseur allemand affirmait de son contact avec l’âme du monde ?

L’étude des écrits prophétiques fournira à chaque page, nous l’espérons, les matériaux propres à préparer la vraie explication de la prophétie, celle que saint Paul a donnée quand il a dit : « Personne ne connaît ce qui est dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme. De même aussi personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu41 ».

VII. Le recueil des écrits prophétiques de l’Ancien Testament

La première partie du Canon chez les Hébreux comprend les cinq livres de Moïse, ou le Pentateuque ; la seconde, les livres appelés prophétiques. Mais cette dénomination renferme chez eux six écrits qui pour nous appartiennent au groupe des livres historiques. Ce sont les livres qui suivent immédiatement le Pentateuque : Josué, les Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois ; les Juifs leur donnent le nom de prophètes antérieurs42.

Les livres qui portent chez nous le nom de prophétiques sont appelés par les Juifs prophètes postérieurs. Ce sont Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et les douze écrits appelés vulgairement petits prophètes, que les Juifs désignent souvent comme un seul livre sous le nom collectif de Dodecapropheton. Le livre de Daniel, que nous joignons aux trois premiers de ces écrits pour former le groupe assez improprement appelé les grands prophètes, appartient chez les Hébreux à la troisième partie du Canon, celle dite des Hagiographes43. C’est dans cette partie qu’ils placent également les Lamentations, dont nous faisons une espèce de supplément placé à la suite du livre de Jérémie dans le recueil prophétique.

On voit que l’arrangement de ce recueil, tel que le présente notre Canon moderne, diffère sur plusieurs points de celui qui était admis dans le Canon hébreu. Cette différence remonte à la plus ancienne traduction de ce Canon, à l’ancienne version grecque dite des Septante. Cette version fut composée graduellement à Alexandrie depuis le milieu du troisième siècle avant Jésus-Christ. Les interprètes alexandrins crurent plus convenable de placer à la suite du Pentateuque toute la série des livres qui avaient un caractère historique ; ainsi, les six qui portent le nom de prophètes antérieurs (voir plus haut) et puis les Chroniques, Esdras et Néhémie, enfin Esther ; ces quatre derniers faisaient dans le Canon hébreu partie des Hagiographes. Ils transposèrent dans le même esprit systématique Daniel et les Lamentations, qu’ils incorporèrent au recueil prophétique ; et déplaçant enfin ce recueil lui-même, ils en firent la clôture du Canon, en séparant les livres historiques d’avec les Prophètes par le groupe des Hagiographes réduits désormais à cinq livres seulement (Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des Cantiques). Les Prophètes ainsi placés à la fin du Canon devinrent comme la transition à l’avenir messianique annoncé par eux. Cet ordre, plus rationnel à certains égards, passa, dès le commencement de l’ère chrétienne, dans les traductions latines, et bientôt dans la version de saint Jérôme qu’a officiellement adoptée l’Église catholique, la Vulgate ; et c’est ainsi qu’il est devenu celui de nos versions modernes.

Si nous revenons au recueil prophétique, tel qu’il se présente dans l’ancien Canon hébreu, nous devons nous demander quand et comment il s’est formé ?

Nous avons constaté le fait que les prophètes subséquents citent fréquemment leurs devanciers. Cela prouve qu’ils connaissaient et qu’ils possédaient leurs écrits. Il est donc naturel de supposer que ces livres restaient déposés dans les communautés des prophètes, entre les mains des disciples de leurs auteurs. Cette supposition s’applique également aux monographies sur l’histoire des rois, rédigées par les prophètes contemporains, au moyen desquelles ont été composés en partie nos livres historiques.

Ainsi se forma et s’accrut graduellement durant l’époque prophétique elle-même la collection des écrits laissés par les prophètes les plus éminents.

Il n’y a donc rien de surprenant à ce que, vers la fin de la captivité, nous rencontrions dans le livre de Daniel44 cette expression collective : les livres, qui paraît désigner non seulement l’écrit de Jérémie, spécialement cité, mais encore d’autres écrits analogues. Et si même l’on refuse d’admettre l’authenticité du livre de Daniel, il faut reconnaître que, dans ce passage s’exprime la notion traditionnelle de l’existence d’un recueil d’écrits prophétiques à l’époque indiquée.

Ce résultat est confirmé par deux passages de Zacharie, dans lesquels ce prophète rappelle à ses contemporains les avertissements des anciens prophètes et les met en parallèle avec les prescriptions de la loi, de manière à réveiller l’idée de paroles écrites et lisibles encore présentement, et non pas seulement celle d’anciennes prédications orales45.

À ces antiques indices nous devons ajouter un rapport plus récent que nous lisons dans le second livre des Maccabées. L’auteur rapporte46 que, « dans les écrits et mémoires de Néhémie, il est raconté comment il forma une collection de livres et réunit les livres des rois et ceux des prophètes et ceux de David et les lettres des rois touchant les offrandes ». Sans doute, l’écrit dans lequel nous est transmise cette notice est plein de récits légendaires. Mais, dans ce passage, l’auteur en appelle à d’anciens mémoires qu’il pouvait avoir eus lui-même sous les yeux ; et la teneur assez obscure des paroles citées parle plutôt en faveur de leur authenticité.

Néhémie aurait donc fondé une espèce de bibliothèque religieuse. Au Pentateuque il aurait ajouté d’abord les livres des Rois, c’est-à-dire les écrits contenant l’histoire des deux royaumes de Juda et d’Israël ; puis les livres des Prophètes proprement dits, déjà sans doute réunis en partie (voir ci-dessus) ; à quoi il ajouta les Psaumes de David et le recueil des lettres ou décrets des rois de Perse ordonnant aux gouverneurs de fournir sur le trésor royal les offrandes destinées aux sacrifices. Ces décrets se trouvent dans les livres d’Esdras et de Néhémie et en formérent sans doute le premier fond.

Il résulterait de ce rapport qu’à la première partie du Canon déjà toute formée, le Pentateuque, Néhémie ajouta la seconde, la collection des prophètes antérieurs et postérieurs, et qu’il recueillit les premiers éléments de la troisième, celle des Hagiographes, en réunissant les Psaumes de David avec ses propres mémoires et ceux d’Esdras.

Si réellement Néhémie s’est livré à un travail de ce genre, il ne devait plus manquer au recueil prophétique sorti de ses mains que l’écrit de Malachie qui fut ajouté tôt après, puisque ce livre doit dater à peu près du temps de Néhémie. Nous exceptons naturellement Daniel, qui, dans le Canon hébreu, ne fit jamais partie du recueil des prophètes.

Afin de ne pas risquer de dérouter le lecteur, nous expliquerons les livres prophétiques d’après le rang qu’ils occupent dans le Canon. Quant aux douze petits prophètes, cet ordre ne diffère pas sensiblement de celui de leur apparition historique. Abdias et Osée sont les seuls qui ne nous paraissent pas figurer dans le Canon à leur place chronologique. Il en est autrement des quatre grands prophètes. Il n’a été possible de les réunir, comme on l’a fait, en un groupe particulier, qu’à la condition de les arracher entièrement à leur rang de date. Pour remédier à l’inconvénient du désordre chronologique qui résultera de la méthode que nous croyons devoir adopter, nous présentons, page suivante, le tableau de la série des prophètes selon leur ordre chronologique le plus vraisemblable, en la mettant en regard de la double série des rois juifs et païens avec lesquels ces prophètes se sont trouvés en rapport.

Table chronologique pour la période des prophètes

Royaume de Juda Dates Royaume des dix tribus Prophètes Peuples étrangers
Roboam 975 Jéréboam 1   Sisak (Égypte)
Abijam 957      
Asa 955      
  953 Nadab   Benhadad 1 (Damas)
  952 Baësa    
  930 Ela    
  929 Zimri    
  929 Omri    
  918 Achab Élie Ithobal (Tyr)
Josaphat 914     Benhadad II (Damas)
  897 Achazia    
  886 Joram Élisée  
Joram 889   Abdias  
Achazia 884     Hazaël (Damas)
Athalie 883 Jéhu    
Joas 877   Joël  
  856 Joachaz    
  840 Joas    
Amatsia 838     Benhadad III (Damas)
  824 Jéroboam II Amos  
Ozias (Azaria) 810   Osée  
  783 (Anarchie) Jonas  
  772 Zacharie    
  771 Sallum    
  771 Ménahem   Phul (Assyrie)
  760 Pékachia    
  759 Pékach   Retsin (Damas)
Jotham 758   Ésaïe Fondation de Rome (753)
Achaz 742   Michée  
  739 (Anarchie)   Tiglath-Piléser (Assyrie)
  730 Osée   So (Égypte)
Ézéchias 727     Salmanasar (Assyrie)
  722 Fin du royaume Nahum Sargon (Assyrie)
  705     Sanchérib (Assyrie)
Manassé 698     Asarhaddon (Assyrie)
Amon 643   Habakuk Assurbanipal (Assyrie)
Josias 641   Sophonie Nabopolassar (Babylone)
Joachaz 610   Jérémie Pharaon Néco (Égypte)
Jéhojakim 610     Nebucadnetsar (Babylone)
Jéhojachin 599   Ézéchiel  
Sédécias 599      
Fin du royaume, captivité de Babylone 588   Daniel Belsatsar (Babylone)
Cyrus (Perse
Edit de Cyrus 536   Aggée, Zacharie  
Achèvement du temple 516     Darius (Perse)
Arrivée d’Esdras 458     Artaxerxès (Perse)
Arrivée de Néhémie 445   Malachie  

Notes

1
Genèse 12.13 : « Toutes les familles de la terre seront bénies (ou : se béniront) en toi ».
2
Luc 12.30
3
Ésaïe 19.24-25
4
Jérémie 31.31 et suivants
5
Dillmann : « Cette série d’hommes qui ont rendu gloire à Dieu pendant huit siècles non interrompus, est une apparition complètement unique dans l’histoire de l’humanité ».
6
Idée, empruntée à une conférence inédite de R. Monsell.
7
Amos 3.7
8
Par exemple : Ézéchiel 37.1 ; Apocalypse 1.10 ; 1 Samuel 10.9 ; 19.20 et suivants ; Nombres 24.3-4
9
Comparez Ésaïe 6.5-8 ; Jérémie 1.6 ; Zacharie 3.5
10
1 Samuel 10.5 ; 2 Rois 3.15
11
1 Pierre 1.11
12
1 Rois 11.29ss ; Jérémie 19.1 et suivants.
13
Jérémie 27.2 et suivants ; Ésaïe 20.3 ; Ézéchiel 3 et 4.
14
Osée 3
15
Ésaïe 1.12 ; Jérémie 7.22.
16
Jonas 3.10 ; comparez Exode 32.14 ; Jérémie 18.8-10 ; Amos 7.3, etc.
17
Jérémie 31.15 ; Zacharie 5.5-11
18
Nombres 11.29
19
Joël 2.28 ; Ésaïe 54.13 ; Jérémie 31.34
20
Genèse 3.15
21
Genèse 12.3 ; 22.18, etc.
22
Deutéronome 18.18-19
23
2 Samuel 7
24
Psaume 90
25
Psaume 2
26
Ésaïe 7.14 ; 9.5-6 ; 11.1 ; Michée 5.2-3
27
Ésaïe 53
28
Daniel 7
29
Zacharie 6.10 et suivants ; 9.9 ; 12.10 et suivants.
30
Malachie 3.1
31
Ésaïe 26.19, 21
32
Genèse 5.29 ; 9.26-27
33
Genèse 20.7 et suivants ; 49.8 et suivants.
34
Nombres 12.6-8 ; Deutéronome 34.10-12 ; Exode 15.20 ; Nombres 11.25-27 ; chapitres 22 à 24.
35
1 Samuel 3.1 ; Juges 4.4
36
1 Samuel 9.6-9
37
1 Samuel 10.5ss ; 19.20 et suivants ; 2 Rois 2 ; 4.23 ; 6.1 et suivants.
38
Actes 3.24
39
Psaumes 46 ; 67 ; 87 ; 96 à 98
40
Michée 3.12 ; 4.10 ; Ésaïe 39.5-6 ; Nahum 1 à 3
41
1 Corinthiens 2.11
42
Voir plus haut la raison de cette dénomination
43
Ce mot signifie saints écrits. Ce sont tous les livres envisagés comme sacrés, en dehors du Pentateuque et des Prophètes.
44
Daniel 9.2 : « Moi, Daniel, ayant compris par les livres que le nombre des années dont avait parlé le prophète Jérémie… » etc.
45
Zacharie 1.6 et 7.12
46
2.13



JE FAIS UN DON POUR CHRÉTIENS TV