La cause de la catastrophe 1 Malheur à la ville de sang, qui n’est que fraude, pleine de violence, qui ne cesse pas ses rapines ! 2 On entend les fouets, on entend le fracas des roues ; les chevaux galopent, les chars bondissent. 2 et 3
Le prophète ne peut énumérer ces crimes sans que la vision du jugement se reproduise devant ses yeux en quelques traits rapides ; c’est d’abord le bruit lointain des fouets et des roues ; ensuite l’armée apparaît, la bataille s’engage ; puis le prophète ne voit plus que des cadavres.
3 Les cavaliers s’élancent, l’épée brille, la lance étincelle. Une multitude de blessés…, une masse de morts, une infinité de cadavres… On trébuche sur les cadavres. La prostituée . L’idolâtrie est fréquemment appelée une prostitution par les prophètes ; mais il s’agit dans ces passages du peuple d’Israël qui abandonne son Dieu pour suivre les idoles. Appliqué à Ninive, ville païenne, ce terme ne peut avoir le même sens ; il désigne à la fois la fascination que Ninive exerçait sur les peuples par le prestige de sa puissance et la perfidie avec laquelle elle traitait ceux qui avaient le malheur de se laisser gagner par elle.
Qui vendait les nations . Quand un pays, séduit par ses enchantements, se livre à elle, elle le trahit sans pitié, et vend ses habitants comme esclaves.
4 C’est à cause de la multitude des prostitutions de la prostituée pleine d’attraits, de cette magicienne qui vendait les nations par ses prostitutions, et les peuples par ses enchantements. 5 À toi maintenant, dit l’Éternel. des armées ! Je vais relever les pans de ta robe sur ta face et je montrerai aux nations ta nudité et aux royaumes ta honte. À toi maintenant . La prostituée sera traitée en prostituée : avec le dernier mépris. Dépouillée de ses vêtements luxueux, elle sera insultée et offerte en spectacle au monde dans sa honte.
6 Je jetterai sur toi des ordures, je t’avilirai et je te donnerai en spectacle. 7 Quiconque te verra, fuira loin de toi et dira : Ninive est détruite ! Qui la plaindra ? Où te chercherai-je des consolateurs ? Qui la plaindra ? Comme tous les peuples ont eu à souffrir de ses perfidies, ils l’abandonneront tous et se réjouiront de sa chute.
8 Vaudrais-tu mieux que No-Amon, qui était assise au milieu des fleuves, que les eaux environnaient, qui était une forteresse des mers, dont la mer était la muraille ? Nahum établit la possibilité d’un tel sort pour Ninive, en rappelant ce qui est arrivé à la seule ville qui pût rivaliser avec elle. No-Amon (voir l’introduction à ce livre pour le fait historique auquel Nahum fait allusion). Nous voyons par Jérémie 46.25 que No était la ville principale de l’Égypte, et par Ézéchiel 30.11-16 qu’elle était située dans la Haute-Égypte. Ce doit donc être la capitale de la Haute-Égypte, Ta-Ape (d’où Thèbes), que les Égyptiens eux-mêmes appellent en langage religieux Nu-Amen : le lieu d’Amon , et les Grecs, Diospolis, la ville de Jupiter. Cette ville très ancienne fut la principale résidence des rois les plus glorieux qu’ait eus l’Égypte, et en particulier des Ramsès de la dix-neuvième dynastie. Son nom même est aujourd’hui inconnu aux habitants de cette contrée ; mais les ruines que l’on trouve près des villages de Luksor et de Karnac attestent l’ancienne magnificence de la Thèbes aux cent portes.
Au milieu des fleuves : du Nil et de ses canaux.
Une forteresse des mers ; l’immense nappe d’eau du Nil porte également le nom de mer dans Ésaïe 19.5 . Le prophète insiste sur l’étendue des eaux qui protégeaient Thèbes et qui n’ont pu la préserver de son sort, pour faire comprendre aux Ninivites qu’ils s’abuseraient en croyant que les fossés de leurs fortifications les mettent à l’abri du danger (voir Nahum 2.7 ).
9 Cus était sa force, ainsi que l’Égypte, et ils étaient sans limites. Put et les Libyens étaient tes alliés. Thèbes avait, elle aussi, des soldats innombrables pour la défendre ; c’étaient d’abord les troupes nationales, les Éthiopiens (Cus) et les Égyptiens ; puis leurs auxiliaires, les peuples de la côte septentrionale de l’Afrique, Put , et spécialement les Libyens proprement dits.
Tes alliés : avec sa vivacité de langage habituelle. Nahum s’adresse directement à Thèbes et la prend à témoin.
10 Elle aussi est allée en exil, captive ; ses petits enfants aussi étaient écrasés à l’angle de toutes les rues ; on jetait le sort sur ses hommes les plus honorés et tous ses grands ont été chargés de fers. Nahum décrit en quelques traits saisissants le sort terrible d’une ville prise d’assaut ; il ne dit pas que Thèbes ait été détruite, et en effet cette ville, sans reprendre son éclat passé, subsista jusqu’au temps des Ptolémées.
11 Toi aussi, tu seras enivrée, perdant tes, sens ; toi aussi, tu chercheras un refuge devant l’ennemi. Toi aussi correspond à elle aussi du verset précédent ; le sort de Thèbes est un présage de celui qui attend Ninive.
Tu seras enivrée , tu boiras la coupe de la colère divine et tu en perdras les sens (Habakuk 2.16 ; Ésaïe 51.20 ; Abdias 1.16 ). En face du danger, Ninive perdra conscience d’elle-même.
12 Toutes tes places fortes sont des figuiers chargés de figues mûres ; on secoue, elles tombent dans la bouche. Toutes tes places fortes . Une multitude de châteaux forts bâtis en dedans de l’enceinte fortifiée défendaient. de tous côtés l’abord de Ninive.
Des figues mûres ; c’est le moment de les cueillir (Ésaïe 28.4 ) ; l’Assyrie est, elle aussi, mûre pour le jugement, l’ennemi n’aura qu’à se présenter et les forteresses se rendront à lui.
13 Voici, tes gens sont des femmes au milieu de toi ; devant tes ennemis, les portes de ton pays s’ouvrent toutes grandes ; le feu a dévoré tes barres. Des femmes : la faiblesse, l’impuissance des guerriers, plutôt que leur lâcheté ; une fatalité pèse maintenant sur cette nation militaire entre toutes (voir Nahum 2.5 ). Les Grecs, dans leurs légendes sur Sardanapale, avaient gardé le souvenir du caractère efféminé de la dernière génération assyrienne.
Les portes de ton pays , les passages des montagnes.
Les barres , c’est-à-dire les forteresses.
14 Fais ta provision d’eau pour le siège ! Arme tes forts, vas à l’argile ! Foule la terre glaise, met en état le four à briques. Ninive, voyant tout le pays déjà envahi, songe enfin à se préparer pour le siège ; on remplit d’eau les citernes, on répare les murs avec des briques séchées soit au soleil, soit au four ; mais il est trop tard.
15 Là, le feu te dévorera, l’épée t’exterminera, te dévorera comme la sauterelle, quand tu serais nombreux comme la sauterelle, nombreux comme la larve. 15 à 17 tous ces préparatifs sont inutiles
L’image de la sauterelle rend difficile ce passage qui contient en outre quelques termes inusités. La sauterelle porte ici trois noms dont nous avons déjà expliqué deux dans Joël 1.4 ; jélek , c’est la nymphe ; arbé , c’est. la larve ; quant à gôb , on l’entend des jeunes sauterelles d’une manière générale. La sauterelle est citée dans notre passage tout à la fois pour sa multitude et la rapidité avec laquelle elle disparaît. Ninive sera dévorée , ses maisons par le feu, ses habitants par l’épée.
Comme la sauterelle (jélek ). On peut entendre à première vue : Comme la sauterelle dévore. Ce sont alors les Mèdes qui sont comparés à la sauterelle. Ou bien on peut entendre : Comme la sauterelle est dévorée. Ce sont dans ce cas les Ninivites que représentent les sauterelles. Il y aurait allusion à ces grands feux que l’on allume parfois pour se défaire de ces insectes. Dans ce qui suit l’image de la sauterelle est appliquée aux Ninivites au double point de vue du nombre et de la vélocité. C’est ce qui parle plutôt en faveur du second sens.
16 Tu as des marchands en plus grand nombre qu’il n’y a d’étoiles dans les cieux ; la sauterelle ouvre ses ailes et s’envole. Ninive était une ville de commerce d’une très grande importance ; sa situation exceptionnelle, à l’endroit où les routes des caravanes de l’occident rencontrent le Tigre devenu navigable, y avait attiré des négociants du monde entier ; ils donnaient par leur nombre une apparence de force à la ville ; mais dès que l’ennemi surgit, ils prennent leur vol et disparaissent comme la sauterelle (jélek ) au moment où ses ailes se déploient (comparez Nahum 2.8 ).
17 Tes princes sont comme la sauterelle, et tes chefs comme de jeunes sauterelles amoncelées ; elles se posent sur les murs en un jour froid ; le soleil se lève, elle fuient et l’on ne connaît plus leur lieu ; où sont-elles ? Tes princes et tes chefs . Nous avons conservé la traduction ancienne de ces deux mots, dont l’un ne se retrouve nulle part ailleurs et l’autre seulement Jérémie 51.27 . On est donc réduit à des suppositions sur leur sens. Il est possible que le premier de ces termes désigne les soldats de l’armée plutôt que les généraux, ce qui convient mieux à l’image de sauterelles amoncelées ; le second semble être une dénomination militaire assyrienne dont nous ignorons la valeur (peut-être celui qui écrit, c’est-à-dire qui enrôle les soldats).
Comme de jeunes sauterelles . La forme employée désigne un amoncellement ; elles sont les unes sur les autres ; quand arrive un jour froid, elles se rassemblent partout ou elles trouvent un abri, sur un mur, sur une haie ; mais dès qu’un rayon du soleil vient les réchauffer, elles s’envolent, sans que personne sache ce qu’elles sont devenues ; c’est ainsi que s’évanouira l’armée assyrienne.
18 Tes pasteurs sont endormis, roi d’Assyrie ! Tes hommes forts sont gisants, ton peuple est dispersé sur les montagnes, et il n’y a personne qui les rassemble. Nahum termine par une apostrophe au roi d’Assyrie
Tes pasteurs… tes hommes forts , tes généraux, sont tués ; ton peuple est dispersé bien loin dans les montagnes ; la situation est désespérée.
Sur qui… ? Cette question résume en un trait final tous les crimes qui ont enflammé la colère de l’Éternel (chapitre 1) et provoqué ce jugement terrible (chapitre 2).
L’accomplissement de la prophétie de Nahum
Nous avons fort peu de détails sur les derniers temps du royaume d’Assyrie ; nous avons vu dans l’introduction qu’Assurbanipal sut encore, par son énergie et sa cruauté, réprimer les révoltes des provinces. Il n’en continua pas moins à écraser d’impôt ses sujets pour satisfaire ses goûts fastueux ; il construisit des palais magnifiques, et, c’est dans celui de Ninive que l’on a trouvé cette bibliothèque assyrienne qui est aujourd’hui un des plus précieux trésors du Musée britannique.
Mais la décadence, retardée par son énergie, n’en devait être que plus rapide ; les inscriptions sont naturellement muettes sur ces revers de l’Assyrie, l’Égypte s’affranchit de son joug, et bientôt un autre ennemi surgit à l’horizon. C’étaient les Mèdes, qui depuis peu étaient arrivés à former un État. Déjocès réunit ces tribus nomades, et son fils Phraorte se hasarda à attaquer leurs anciens maîtres ; mais il fut battu , et tué devant Ninive (635 ou 625). Nous ne savons pas si ce fut encore par Assurbanipal ou par son faible successeur, Assur-etel-ilani . Ce roi, le dernier des souverains ninivites, n’a laissé que deux inscriptions qui nous soient parvenues ; il y parle d’une restauration du temple de Nébo et de la construction de son palais à Nimroud ; mais ce palais ne rappelle plus le luxe de ceux de ses ancêtres ; c’est un bâtiment misérable qui atteste la décadence de l’empire. Cyaxare, le fils de Phraorte, se hâta de venger la mort de son père ; il s’était avancé avec son armée victorieuse jusque sous les murs de Ninive, quand l’invasion des Scythes le contraignit à lever le siège et à retourner en toute hâte dans ses États. Ces barbares ravagèrent l’Asie occidentale pendant bien des années ; dès qu’il vit le danger éloigné, Cyaxare revint à la charge avec son allié Nabopolassar, vice-roi de Babylone ; le siège de Ninive, si nous en croyons les historiens grecs, dura trois ans, et la ville ne fut prise qu’à la suite d’une inondation du Tigre qui emporta les remparts sur une longueur de vingt stades. Le roi, désespéré se serait brûlé dans son palais. C’était en 606 (d’après d’autres, 608).
C’est ainsi que fut anéantie la grande ville de Ninive et, avec elle, l’empire et le peuple assyriens dont l’histoire ne fait plus jamais aucune mention. Ce désastre eut un retentissement immense dont nous trouvons l’écho dans les prophéties d’Ézéchiel (Ézéchiel 31.11-16 ; Ézéchiel 32.22-23 ). La destruction fut si radicale que, deux siècles plus tard, Xénophon traversa ces ruines sans savoir quel en était le nom, ni quel peuple les avait habitées. Les âges suivants ignorèrent l’emplacement où fut Ninive, et il en a été ainsi jusqu’à notre génération ; les fouilles entreprises par les Anglais et les Français ont remis au jour les restes magnifiques de la ville qui avait régné sur le monde, mais que l’Éternel avait frappée du jugement de sa colère.
19 Ta fracture est sans remède, ta plaie mauvaise. Tous ceux à qui arrivera le bruit de ton sort battront des mains à ton sujet. Car sur qui n’a pas passé ta malice continuellement ?