On ne le vit plus , littéralement il ne fut plus là . Cette expression désigne une disparition subite. Comparez Ésaïe 17.14 ; Psaumes 103.16 .
Dieu l’avait pris . Au moment où sa tâche morale est terminée, Dieu le retire de ce monde et le prend à lui. C’est sans doute ce qui serait arrivé à Adam s’il eût été fidèle ; c’est ce qui est arrivé plus tard à Élie ; c’est ce qui aurait pu arriver à Jésus-Christ s’il l’avait voulu, au moment de la transfiguration ; c’est ce qui arrivera aux fidèles qui seront encore vivants au retour de Christ (1 Corinthiens 15.51-52 ; 1 Thessaloniciens 4.17 ).
Si Dieu se révèle aux hommes par des faits aussi bien ne par des paroles, cet enlèvement était bien certainement la révélation de l’existence d’une vie supérieure, dernier but de la vie terrestre. C’était le moyen de consoler les premiers hommes des souffrances de leur longue carrière terrestre, qui, semblait-il, n’avait d’autre issue que la mort.
Au moment où Hénoc fut enlevé, tous ses ancêtres, sauf Adam, vivaient encore, et déjà Méthusélah et Lémec, grand-père et père de Noé, étaient nés, de sorte que ce fait eut pour témoins toutes les générations de la race séthite, à l’exception de la première et de la dernière. Dieu leur révèle, en prenant à lui le plus fidèle d’entre eux, que la destination primitive de l’homme n’est pas annulée et qu’elle sera le prix de la fidélité.
Ainsi chacune des grandes époques du règne de Dieu a eu sa démonstration de la vie à venir : l’époque patriarcale en la personne d’Hénoc, l’époque théocratique en celle d’Élie, et l’époque chrétienne en la personne de Jésus-Christ.
Est-il possible, comme on a voulu le faire, d’affirmer l’identité primitive de ce personnage avec celui qui porte le même nom dans la généalogie caïnite ? Évidemment non : des légendes parties du même point devraient conserver au moins quelques traits communs.
Le personnage d’Hénoc, comme celui de Seth, est devenu le thème fécond de légendes dans la tradition juive. Jésus Sirach (Siracides 44.16 ) en fait un exemple de repentir pour toutes les générations . Dans l’apocalypse qui porte son nom et que cite Jude Jude 1.14 , il apparaît comme un prophète qui aurait annoncé le déluge et prêché la repentance.
À cause de ses relations avec le monde supérieur, on lui attribua une connaissance spéciale des mystères du ciel et de la terre, et l’invention de l’astronomie et de l’arithmétique ; on prétendit même qu’après son enlèvement il était devenu le greffier du tribunal divin.
Dans la légende chaldéenne, les traits qui le concernent se confondent avec ceux qui se rapportent à Noé, de telle sorte que c’est le patriarche du déluge qui est enlevé et mis au nombre des dieux.
Agé de cinq cents ans . L’auteur veut dire que Noé commença à avoir des enfants dès cet âge-là. Le récit n’indique pas encore l’âge total qu’atteignit Noé, parce qu’il va continuer l’histoire de ce patriarche en rapportant l’événement capital de cette première période de l’histoire de l’humanité. Les déterminations chronologiques qui complètent celle donnée ici se trouvent Genèse 7.11 et Genèse 9.28 .
On pourrait conclure de ce passage que Sem est l’aîné des fils de Noé et Japheth le cadet. Nous verrons à Genèse 9.24 s’il en est bien ainsi.
Remarques sur le chapitre 5
Les nombres contenus dans ce chapitre présentent une double difficulté : d’un côté, la longévité des patriarches semble contredite par les conditions de l’existence humaine ; de l’autre, le nombre d’années assigné à cette période paraît beaucoup trop restreint en face des données des sciences naturelles et historiques.
On a cherché à échapper à la première difficulté en voyant dans les dix patriarches indiqués ici non pas des individus, mais des dynasties. Mais on ne saurait prêter cette idée à l’auteur ; l’engendrement d’un fils à un moment donné de l’existence, la mort ou l’enlèvement au ciel, ne peuvent être le fait que d’individus, et non de dynasties ou de races.
Un essai qui n’est pas plus heureux consiste à réduire les années indiquées ici à trois, deux ou même un mois. Ces réductions sont complètement arbitraires et sans exemple chez les Hébreux. Les réductions pareilles que l’on signale chez d’autres peuples, les Égyptiens par exemple, sont de date postérieure et ont pour but de ramener les chiffres fabuleux de la mythologie à des proportions plus vraisemblables. D’ailleurs dans cette hypothèse plusieurs des patriarches (Kénan, Mahalaléel, Hénoc) auraient été encore enfants au moment où ils ont engendré leur premier fils.
Nous n’avons, quant à nous, pas de scrupule à admettre que l’existence humaine ait en dans ces premiers âges une durée normale beaucoup plus longue que dans la période actuelle. Il est vrai que maintenant la constitution physique de l’homme ne lui permet pas de dépasser cent cinquante à deux cents ans ; mais est-il sûr que le corps humain soit de nos jours exactement ce qu’il était dans les premiers siècles de l’existence de la race ? Destiné primitivement à l’immortalité, il est bien probable qu’il n’a été livré que graduellement à la puissance de la mort. La force vitale primitive que possédaient dans toute sa plénitude nos premiers parents, et qui s’est transmise à leurs premiers descendants, peut être allée en s’épuisant jusqu’à une certaine limite à laquelle elle s’est arrêtée. Comparez Psaumes 90.10 .
Nous ne croyons pas même nécessaire de recourir à des hypothèses assez hasardées que l’on a avancées en faveur de l’historicité du récit biblique. On a supposé entre autres que, dans ces temps primitifs, les conditions matérielles de l’existence étaient tout autres ; que, par exemple, les plantes avaient une vertu nutritive plus grande, que les changements de température étaient moins considérables et moins brusques, que les éléments constituant l’air respirable étaient mélangés d’après une proportion autre que maintenant, etc. Ce sont là des suppositions gratuites qui ne peuvent être prises en considération.
La seconde difficulté que soulève notre chapitre est celle de l’accord entre ses données et celles de la science sur la date de l’origine de la race humaine. La fixation de cette date d’après la Bible n’est pas aussi simple qu’il le semble au premier abord ; en effet, les deux plus anciennes versions, celle des Samaritains et celle des LXX, ne sont pas d’accord sur ce point avec notre texte hébreu. Pour ce qui concerne spécialement la période qui nous occupe ici, elle est de 2242 ans d’après les LXX, de 1307 d’après le texte samaritain, et de 1656 d’après le texte hébreu.
Voici le tableau synoptique des trois documents : Tableau
Laquelle de ces trois chronologies est l’authentique ? On est en général d’accord pour donner la préférence au texte hébreu, car c’est celui qui trahit le moins une intention systématique.
Un coup d’œil jeté sur les chiffres du texte samaritain suffit pour montrer qu’il vise à présenter une série décroissante des âges des patriarches. Pour cela il a réduit plusieurs des nombres donnés pour les derniers membres de la série, sans se préoccuper de la diminution que cela effectuait pour la durée totale de la période. Quant aux chiffres qui concernent Noé, il a dû les conserver, parce qu’ils reviennent dans l’histoire du déluge.
Quant aux LXX, un fait suffit pour faire douter de leur valeur historique ; c’est que, d’après eux, Méthusélah devrait avoir survécu de quatorze ans au déluge ; en effet, il meurt à l’âge de 969 ans, et le déluge devrait être arrivé dans la 955e année de sa vie.
(Un manuscrit des LXX, le codex Alexandrinus, remanie cependant les chiffres donnés pour Méthusélah, de manière à ce qu’il meure six ans avant le déluge. Pour cela, il lui fait engendrer son premier fils vingt ans plus tard, soit à l’âge de 187 ans, prolongeant ainsi de vingt ans la période qui s’est écoulée d’Adam au déluge.)
Il semble bien que l’intention des LXX ait été de prolonger la période qui s’étend de la création au déluge. En effet, tandis que la somme des années de chaque patriarche est, sauf une seule exception, la même chez eux que dans le texte hébreu, l’âge où chacun d’eux donne le jour à son premier-né est chez le plus grand nombre retardé de cent ans.
Il est possible que les traducteurs aient eu l’intention de rapprocher la chronologie biblique de celle qui était adoptée de leur temps par les historiens profanes, et, comme c’est à Alexandrie que la traduction des LXX a vu le jour, nous sommes disposés à donner droit à ceux qui cherchent un parallèle avec la chronologie égyptienne (On a aussi essayé d’établir un rapport entre la chronologie des LXX et les chronologies hindoue et chaldéenne).
Nous réservons nos conclusions définitives sur cette question pour le chapitre 11, où elle se posera de nouveau.
On voit donc que la chronologie biblique, pour ce qui concerne les temps
antédiluviens, n’est pas absolument sûre. Et fût-on même fixé sur la question
de savoir lequel de ces documents a la plus grande valeur historique, il n’en
résulterait pas nécessairement qu’on pût, en se basant sur ses données, fixer
l’âge du monde d’une manière certaine.
Aucun des documents en effet n’indique une somme d’années se rapportant à la période tout entière, et ce n’est qu’au moyen de calculs basés sur les données du texte qu’on arrive à déterminer cette somme. Or il est fort possible, comme nous l’avons déjà dit plus haut, que le nombre dix ait un caractère symbolique dans les séries de noms
que présentent les généalogies et que, pour arriver à ce chiffre, on ait laissé
tomber dans la tradition plusieurs membres de la série. Ainsi le personnage
indiqué comme le fils direct d’un patriarche pourrait être en réalité son descendant à la seconde ou à la troisième génération. C’est ce qui arrive dans la généalogie de Matthieu 1 , où le roi Ozias est nommé comme ayant été engendré par Joram (Matthieu 1.8 ), tandis qu’il n’est que son descendant à la quatrième génération, les trois rois Achazia, Joas et Amatsia étant omis entre les deux.
Les chiffres de 1656 ou de 2242 ans ne sont donc qu’un minimum. Nous examinerons au chapitre 11 la question de savoir dans quel rapport les données chronologiques de la Genèse sont avec celles de l’histoire. Dans tous les cas, pour
la période qui nous occupe ici, la Bible seule peut prétendre à une valeur historique, les données chronologiques des autres peuples n’atteignant nulle part le temps du déluge.
Dans quel rapport ces données chronologiques de la Bible sont-elles avec les sciences naturelles, avec la géologie en particulier ? Plusieurs savants, se basant sur le temps présumé que les couches terrestres ont mis à se former, ont cru pouvoir chiffrer par dizaines et centaines de mille ans l’âge de l’humanité. Mais les hommes les plus compétents sont loin d’être d’accord sur ces chiffres, ce qui est une preuve que l’on n’a pas le droit d’attaquer les données de la Bible au nom de la science. Les savants qui ont basé leurs calculs sur les atterrissements du Mississippi, par exemple, varient entre 4 400 et 126 000 ans quand il s’agit de fixer l’âge de la race humaine. C’est qu’en effet l’accroissement des terrains d’alluvion ne se fait pas dans tous les temps dans une mesure égale. Il est probable en particulier que, à l’époque de la grande extension des glaciers, les fleuves entraînaient dans leur cours une quantité beaucoup plus considérable de matières solides. Le soulèvement des côtes et la formation des couches de tourbe ou d’autres matières ne se font pas avec une régularité plus grande. Aussi voyons-nous aujourd’hui une réaction s’opérer contre les chiffres immenses que l’on donnait naguère, et bon nombre de savants sérieux, dans le camp matérialiste comme dans le camp spiritualiste et chrétien, pensent que l’existence de l’homme sur la terre ne doit pas remonter au-delà de 7 000 à 10 000 ans, ce qui n’est plus en désaccord sérieux avec les données que nous tirons des généalogies scripturaires.
Conclusion sur les chapitres 4 et 5
Les généalogies des chapitres 4 et 5 sont-elles historiques ou imaginaires ? Bon nombre d’interprètes et de savants pensent qu’elles sont le parallèle des mythes des peuples anciens et croient pouvoir identifier les hommes dont elles parlent avec les héros et les demi-dieux de l’antiquité.
On constate en effet dans les mythologies anciennes des rapports plus ou moins frappants soit avec l’une soit avec l’autre des généalogies bibliques. Chez les Chaldéens, les Arméniens, les Iraniens, les Hindous, les Arabes, les Germains, les temps préhistoriques sont remplis par l’existence fabuleuse de dix rois ou héros dont la succession correspond aux progrès de la civilisation, et dont plusieurs ont leur parallèle évident dans la tradition biblique.
La mythologie chinoise présente des rapports frappants avec la généalogie caïnite ; comme cette dernière, elle parle de sept patriarches primitifs qui sont les sept premiers empereurs de la Chine et en même temps les inventeurs des arts et les promoteurs de la civilisation ; le second offre le premier sacrifice et est tué par un géant ; le troisième construit la première ville et est enlevé au ciel (les deux Hénocs bibliques sont ainsi réunis en un même personnage) ; le cinquième invente la métallurgie ; le sixième prend deux femmes, et sous le septième arrive le déluge (voir cependant sur ce dernier détail ce que nous dirons plus loin de la tradition chinoise du déluge).
Chez d’autres peuples, où le nombre des héros préhistoriques n’est pas fixé, on trouve des traits qui rappellent l’un ou l’autre des patriarches bibliques. Ainsi la plupart des mythologies font, comme la Bible, du constructeur de la première ville le meurtrier de son frère. Ce souvenir s’est peut-être perpétué jusque chez les Romains, où Romulus, fondateur de Rome, tue son frère Rémus.
De même les personnages de Jabal, Jubal et Tubal-Caïn ont des analogies dans presque toutes les mythologies. Ainsi chez les Phéniciens le troisième couple de héros mythiques commence à habiter des villages et à élever des troupeaux. D’après une autre tradition phénicienne, la troisième génération humaine comprend trois frères, qui portent les noms de lumière, feu et flamme, parce qu’ils ont été les inventeurs du feu. Les personnages de Tubal-Caïn et de Naama rappellent Vulcain et Vénus des mythologies grecque et latine, de même que Jabal et Jubal font penser à Apollon, à la fois dieu de la musique et dieu des troupeaux.
Si l’on compare ces quelques données renfermées dans les traditions païennes avec le récit biblique, la supériorité de ce dernier s’impose. Elle est plus évidente encore si l’on fait porter la comparaison sur les données chronologiques.
La chronologie babylonienne, par exemple, la seule qui ait pu être fixée d’une manière certaine, attribue aux règnes des dix rois primitifs une durée de 120 sares , périodes de 3600 ans chacune, soit 432 000 ans. La durée de la vie des différents rois varie entre 10 800 et 6 800 ans. Il a été reconnu que ces chiffres fabuleux reposaient sur des données astronomiques, tandis qu’il est impossible de ramener ceux de la Genèse à un système quelconque.
Après cet aperçu rapide, nous avons tous les éléments nécessaires pour nous prononcer sur la valeur de nos généalogies bibliques. Leur supériorité ressort tout d’abord du caractère vraiment humain des personnages : tandis que les autres peuples ont fait de leurs ancêtres et des premiers inventeurs des héros surnaturels et même des dieux, les Hébreux leur ont conservé leur caractère d’hommes mortels et même de pécheurs.
Un second trait qui distingue le récit biblique, c’est son caractère essentiellement moral : tandis que chez les autres peuples on ne trouve qu’une seule lignée où la prospérité matérielle se développe, combinée quelquefois avec le progrès du mal physique, la Bible distingue deux races : l’une, la race méchante, où la décadence morale marche de pair avec les progrès de la civilisation ; l’autre, la race juste, dans le sein de laquelle on discerne divers degrés de perfection morale.
Plusieurs interprètes ont reconnu cette supériorité du récit biblique, mais ont supposé que la mythologie primitive des Israélites était toute semblable à celle des autres peuples, et qu’elle s’est purifiée peu à peu sous l’influence de leurs idées monothéistes. Mais dans le domaine du mythe et de la légende, on amplifie plutôt que de simplifier, et la question est toujours de savoir d’où viennent aux Israélites ce monothéisme et ce caractère constamment moral de leurs traditions qui les élèvent au-dessus de tous les autres peuples.
Il nous parait donc que ce récit contient la tradition historique primitive maintenue pure au sein de la race monothéiste, tandis qu’ailleurs elle s’est chargée d’éléments étrangers dans la mesure où les peuples s’éloignaient de la vérité religieuse. Lorsque l’homme s’éloigne du seul vrai Dieu, il est réduit à s’en créer d’autres à son image, et il est tout naturel qu’il se mette alors à adorer ces ancêtres glorieux qui ont inventé les arts dont il bénéficie à chaque instant. En même temps, ne sachant plus distinguer dans son propre cœur entre le bien et le mal, il efface instinctivement cette distinction de l’histoire et en vient de cette manière à confondre en une seule deux races qui ne différaient que par leur caractère moral.