Nous sommes dans l’ignorance la plus complète sur l’auteur de l’écrit canonique appelé du nom de Malachie. Ni son père ni son lieu d’origine ne sont indiqués. Tandis que le livre d’Esdras mentionne le ministère d’Aggée et de Zacharie, Néhémie, dont Malachie doit avoir été le contemporain (voir plus loin), ne parle point de lui dans ses Mémoires. Nous avons bien certaines données sur son compte dans quelques écrits des temps postérieurs. Le Talmud le range, avec Aggée et Zacharie, parmi les hommes de la Grande Synagogue qui, placés à la tête des Juifs revenus de l’exil, sont censés avoir constitué le Canon des saintes Écritures et conservé les traditions légales. Quelques Pères de l’Église rapportent que Malachie était lévite, habitant la tribu de Zabulon originaire du bourg de Supha. Mais il est impossible de contrôler de telles données.
Cette ignorance totale où nous sommes sur la personne de l’auteur de ce livre a conduit plusieurs savants à douter complètement de l’existence d’un prophète du nom de Malachie. On a rapproché ce nom du terme Maléachi (mon messager), qui est employé dans le sens usuel au chapitre 3, verset 1, et on a prétendu que l’auteur avait déguisé son vrai nom sous cette espèce de pseudonyme, tiré de son propre livre. Les anciens traducteurs grecs (les LXX) paraissent avoir déjà partagé cette opinion ; ils traduisent le titre du livre comme suit : « Sentence de la parole du Seigneur sur Israël par l’intermédiaire de son ange » (ou de son envoyé), évitant de rendre Maléchi comme nom propre, pour en faire un substantif commun, et substituant le pronom de la troisième personne (son) à celui de la première (mon), afin de ne pas mettre ce titre du livre dans la bouche de Dieu lui-même. La paraphrase chaldaïque et Jérôme, auxquels Calvin incline à se rattacher, voient dans ce nom « mon envoyé » un titre sous lequel se dissimulerait le savant Esdras.
Ces raisons ne nous paraissent pas décisives. Le mot Maléachi peut fort bien être un nom propre. Car d’après certaines analogies, on peut l’envisager comme une abréviation de Maléachia, « l’envoyé de Jéhova », et, par conséquent, comme le nom réel de l’auteur. Il se pourrait même que, comme plusieurs prophètes (par exemple Sophonie et Michée) font allusion dans leurs prophéties au sens de leur propre nom (Michée 7.18 ; Sophonie 2.3), notre prophète eût voulu dans le passage 3.1 rappeler le sien. Il n’est pas non plus fait mention du père et du lieu d’origine dans les cas d’Abdias et d’Habakuk. Quant à Néhémie, rien ne l’obligeait à parler du ministère d’un prophète dont l’influence ne pouvait être comparée à celle d’Aggée et de Zacharie. L’identification de l’auteur du livre avec Esdras ne peut paraître bien probable, si l’on mesure toute la distance entre un scribe et un prophète.
L’époque des prophéties renfermées dans ce livre peut se déterminer d’une manière assez précise. Il ressort du contraste entre Jacob et Ésaü, 1.1-5, qu’il a été composé après le retour de la captivité, et de 1.10 et 3.1, que le temple et le culte étaient déjà rétablis. Malachie a donc prophétisé un certain temps après le ministère public d’Aggée et de Zacharie. Malachie reproche aux Juifs revenus, de l’exil (3.8-10) leur négligence dans le paiement de la dîme du temple et (2.11-16) les mariages qu’ils contractent avec des femmes païennes. Ces mêmes reproches leur sont adressés par Néhémie (chapitre 13). On peut conclure de là avec une grande vraisemblance que ces deux hommes ont été contemporains. Et comme Néhémie s’est éloigné pendant cinq à dix ans de Jérusalem pour retourner en Orient auprès du roi de Perse (dès l’an 432), il est possible que l’activité publique de Malachie se soit précisément exercée en son absence, dans l’intervalle entre les deux périodes de son administration ; ce qui expliquerait plus facilement encore le silence du livre de Néhémie relativement au ministère de ce prophète.
L’ouvrage forme un tout continu dans lequel ne sont pas séparés des discours particuliers, comme dans Aggée ou Zacharie. Une grande chute s’est produite dans la piété du peuple depuis les jours de ces deux prophètes. Le peuple paraît aussi mécontent de Dieu qu’il est satisfait de lui-même. Les promesses de salut faites par les anciens prophètes ne s’accomplissent pas conformément à son attente. Il doute de l’amour de l’Éternel et même de sa justice, et trouve qu’il ne vaut pas la peine de s’appeler son peuple.
Malachie parle comme l’avocat de Dieu et l’accusateur du peuple. Après une introduction dans laquelle il rappelle à Israël l’amour de l’Éternel (1.2-5), il reproche aux sacrificateurs de profaner le culte (1.6 à 2.9), au peuple, de se dégrader lui-même par ses mariages païens et ses divorces avec les femmes israélites (2.10-16) ; puis, en réponse à l’impatience avec laquelle ce peuple réclame la venue du Messie qui doit exercer les jugements de Dieu sur ses ennemis, il annonce la prochaine apparition de l’Éternel, mais en rappelant qu’elle aura deux effets opposés : apporter le salut aux cœurs repentants et fidèles, mais la malédiction aux impénitents et aux rebelles (2.17 à 4.6).
On ne trouve pas, en général, dans le livre de Malachie l’élan oratoire ou lyrique au même degré que chez les anciens prophètes, quoiqu’il renferme des passages d’une grande beauté, par exemple 4.1-3. Ce livre se distingue par la forme dialoguée, qui y règne d’un bout à l’autre. Chaque déclaration du prophète pour ainsi dire amène une réplique du peuple, à laquelle Dieu répond par la bouche de son défenseur. Nous assistons ici à la première manifestation de l’esprit pharisaïque qui domina plus tard le peuple, et nous pouvons mesurer déjà l’arrogance de ses prétentions vis-à-vis de Dieu et des hommes.
La langue du prophète est, comme on l’a dit, remarquablement énergique et pure pour l’époque de décadence où il vivait.